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Manifestations étudiantes au Québec : de «l’enfant-roi» au porteur du rêve

Par PIERRE JOLY Psychothérapeute à la Maison Saint-Jacques, Montréal
Article paru dans Libération du 11 juin.

Les étudiants québécois s’opposent au gouvernement libéral de Jean Charest qui a décrété une hausse de 75% (en cinq ans) des droits de scolarité à l’université. Ce conflit a amené une polarisation des opinions entre une idéologie néolibérale dont le gouvernement, les milieux d’affaires et certains médias font la promotion depuis plusieurs années, et une gauche en dormance qui voit dans ce «printemps érable» l’espoir d’une renaissance et d’un renouveau de ses idées.

Les médias ont largement fait état des bris de vitrines par des casseurs, ainsi que de l’usage par la police de la matraque, du poivre de cayenne et des balles de caoutchouc. Mais la véritable guerre a été celle de l’opinion publique. Elle s’est faite sur le terrain de l’image, l’image de l’étudiant en particulier.

Du côté du gouvernement et des faiseurs d’opinion qui le soutiennent, on a eu tendance à opposerles étudiants «responsables», prêts à payer leur «juste part», aux autres, accusés d’être des enfants gâtés qui veulent tout avoir sans en payer le prix. Si, en plus, ils s’opposent à l’autorité légitimement élue et que des casseurs se glissent parmi eux, ça devient… payant politiquement pour le gouvernement.

Ce dernier a réussi à marquer des points dans l’opinion publique, refusant de discuter de la question de la hausse, laissant traîner la situation et se faisant champion de la loi et de l’ordre. Cette crise sociale a relégué à l’arrière-plan de l’actualité le début des travaux de la commission d’enquête Charbonneau qui doit se pencher sur de sérieuses allégations de corruption pesant sur ce gouvernement depuis des mois.

Cependant, l’adoption d’une loi spéciale (loi 78), rédigée à la hâte pour rendre illégaux les piquets de grève sur les lieux d’enseignement et restreindre les manifestations, est venue ternir l’image du gouvernement. Cette loi est vue par un grand nombre comme portant atteinte à la liberté d’expression et au droit d’association.

Ceux qui appuient les étudiants ont souligné leur détermination, leur créativité, leur solidarité, l’éloquence de leurs représentants. On a perçu des affinités entre leur mouvement et celui des Indignés ou d’Occupy Wall Street.

On a fait remarquer que certains d’entre eux étaient à la veille de terminer leurs études, qu’ils se battaient donc pour leurs idées et non pour leur portefeuille. On a mentionné que le conflit représentait pour eux un formidable apprentissage de la démocratie.

Certains ont noté qu’ils renouaient avec une tradition sociale-démocrate établie au Québec dans les années 60, par ce même parti libéral qui faisait alors la promotion de la gratuité scolaire de la maternelle jusqu’à l’université. Derrière l’enfant-roi vilipendé par la droite ou les bien-pensants, on a reconnu l’enfant porteur du rêve d’une société plus juste et d’un modèle universitaire distinct du modèle nord-américain.

Les médias du reste du Canada n’ont pas manqué d’exprimer inquiétude et méfiance face à cette jeunesse descendue dans la rue et revendiquant de facto un statut particulier pour le Québec. Le magazine Maclean’s a présenté en première page l’image très provocante d’un manifestant masqué dont l’allure évoque celle d’un jihadiste, avec pour titre : «La nouvelle classe dirigeante du Québec». Certains ont ressorti du placard le vieux préjugé du Québec profiteur de la fédération canadienne, enfant gâté lui-même, qui s’offre des services publics à faible coût sur le dos des revenus pétroliers de l’Alberta.

Qui a gagné cette guerre de l’opinion publique ? Difficile à dire tant qu’elle n’est pas terminée. Au moment où nous écrivons ces lignes, le gouvernement a rompu les négociations. Il a refusé la dernière offre des étudiants qui répondait pourtant à son exigence d’un coût nul pour les contribuables.

Les étudiants ont proposé un gel de deux ans des droits de scolarité (en pratique, jusqu’aux prochaines élections qui auront lieu d’ici dix-huit mois), gel compensé par une baisse du crédit d’impôt pour les études post secondaires. Le refus du gouvernement aurait été guidé par une question de principe (il tient au principe de la hausse) et d’image.

L’association étudiante considérée comme la plus radicale, la Classe, se fait reprocher de maintenir la désobéissance civile parmi l’arsenal de moyens pouvant être utilisés pour promouvoir ses idées.

Dans les faits, la principale désobéissance observée ces jours-ci au Québec consiste à ne pas remettre aux corps policiers l’itinéraire des manifestations, tel que requis par la loi 78. Ce n’est peut-être pas un hasard si le conflit s’exprime par cette opposition entre un gouvernement qui tient à encadrer les déplacements des manifestants et cette jeunesse qui refuse d’annoncer à l’avance son itinéraire.

Cela pose la question fondamentale à laquelle ni la droite, ni la gauche, ni les fédéralistes, ni les souverainistes n’ont encore répondu : où va cette jeunesse qui s’est mise en marche ?