« Recherche » et « recherche », ou comment la qualité devient une propriété émergente de la quantité

par Barbara Cassin

La « recherche » d'un moteur de recherche qui renseigne très vite et plutôt bien sur tout et n'importe quoi à partir de mots clés, et la « recherche » que les chercheurs pratiquent au CNRS n'ont a priori rien à voir. C'est malheureusement de plus en plus faux, et cette confusion est un risque majeur. Le lien entre les deux est le ranking, la « performance » comme critère d'évaluation, qui fait de la qualité une simple propriété émergente de la quantité.

Lorsque N. Sarkozy soutient, dans son discours de janvier 2009, qu'« un chercheur français publie de 30 à 50 % en moins qu'un chercheur britannique dans certains secteurs », c'est sur ce type d'évaluation qu'il s'appuie. Elle culmine dans le fameux « facteur H », qui détermine la recevabilité d'un dossier à Bruxelles et une bonne partie des évaluations pratiquées en France. « Dites-nous combien d'articles vous avez publiés dans des revues, généralement anglophones, classées A, et combien de fois ces articles ont été cités dans ces mêmes revues, et nous vous dirons ce que vous valez ! » Nous ne tiendrons pas compte du biais linguistique maintenir le français comme langue et non comme dialecte vous pénalisera. Nous ne tiendrons pas compte de la discipline , les sciences humaines n'ont pas à exiger des publications plus longues et plus lentes (vous avez dit des « livres » ?). Nous ne tiendrons pas compte enfin du fait que la recherche émergente n'est par définition connue que d'un petit nombre et se situe tout en bas d'une courbe de popularité. Bref, nous vous engagerons, à la stupéfaction de nos voisins anglo-saxons qui ont vu depuis longtemps les défauts d'une telle évaluation, à publier short and dirty, à cosigner et à vous « entreciter » pour être financés.

L'usage passé dans les moeurs de cette culture-là est lié à l'évidence du marketing et de la direction des ressources humaines érigée en alpha et oméga de la bonne gouvernance, y compris publique. Voilà le problème.

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