Appel contre l'emploi de la souffrance

A lire et signer ici, ainsi que la pétition "Réforme chômage: abrogation de l'article 63§2"

 

Face à la régression sociale organisée, au harcèlement des plus pauvres, en Belgique, nous appelons à un changement de politique, nous appelons à conserver et à étendre nos droits aux salaires chèrement acquis, nous appelons à cesser le harcèlement des chômeurs, nous appelons à une politique de santé soucieuse des patients, indépendante de quelque politique d'emploi que ce soit.

En Belgique le pacte social conclu dans l'après guerre a permis, tout comme en France, la création d'une sécurité sociale pour toutes et tous, financée pour un tiers par l'impôt et pour deux tiers par les cotisations sociales (cotisations salariés et cotisations patronales).

La particularité du régime chômage en Belgique est (était) la non limitation dans le temps des indemnités de chômage.

Depuis les années 80, les prestations de sécurité sociale sont remises en cause : création du statut chômeur cohabitant au début des années 80 – statut beaucoup moins bien indemnisé – , plan d'accompagnement puis d'activation des chômeurs, ce qui a précarisé ce droit.

Depuis peu, la dégressivité et le plan d'exclusion des chômeurs cohabitants finissent de mettre en cause ce droit acquis par les luttes sociales. Le budget des indemnités chômage représente moins d'un dixième du budget de la sécurité sociale – encore inclut-il des prépensions, le chômage pour intempérie et le chômage technique.

Depuis quelques années, de manière rituelle, les chômeurs (plus de 10 % de la population active, depuis des dizaines d'années, tout de même) sont appelés à s'activer, à trouver un emploi. Les discours de culpabilisation des chômeurs, pourtant largement relayés par les médias, ont montré leur inefficacité1 . Ces discours ne sont pas seulement insultants, ils permettent aussi d'éjecter des personnes de la sécurité sociale, de les envoyer au CPAS et de réduire les montants des salaires sociaux auxquels ils ont droit.

La stigmatisation des chômeurs s'étend à des publics jusque là relativement épargnés : les malades et les handicapés. En mettant ensemble plusieurs décisions politiques, il appert que les handicapés mentaux et les malades sont dans le collimateur du gouvernement :

  • Les personnes jusque là reconnues en incapacité au delà de 33% sont à présent « activables »

  • Les personnes qui reçoivent une allocation d'attente, qu'elles soient a priori avec ou sans incapacité, ne bénéficieront de ces allocations que durant 36 mois (y compris par exemple des personnes handicapées ayant travaillé à temps partiel

  • La création d'une nouvelle catégorie de chômeurs : les MMPP, ou personnes à problématiques médicales, mentales, psychiques et psychiatriques (officieuse pour le Forem2 et officielle pour le VDAb3) . Cette catégorie évacue la responsabilité médicale (les 33 % d'incapacité) alors que la création d'un comité d'experts dilue la responsabilité dans la mesure où l'aspect médical n'est plus le seul considéré. En ce qui concerne l'activation des personnes qui ont des problèmes de santé, les autorités ont établi des politiques différentes selon les régions : côté francophone, le Forem a mis sur pied des comités d'experts multidisciplinaires 4: les assistants sociaux confrontés à des cas litigieux interpelleront ces derniers qui décideront du sort de l'intéressé-e ; côté flamand le Vdab lance un programme de remise au travail forcé, de « rééducation par le travail ».

  • L'Inami5, l'Awiph6 et le Forem ont conclu un accord pour la résinsertion des handicapés et des malades. Dans cet accord, les médecins conseils doivent évaluer la capacité des invalides et des handicapés à être (re)mis au travail et faire suivre le dossier au Forem. Cette procédure ouvre la porte à tous les arbitraires7et risque de compromettre, à plus ou moins long terme, les allocations des intéressés.

  • La réforme de la santé mentale : cette réforme, censée améliorer le soin pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale leur met en œuvre un réseau et circuit de soins. Dans ce parcours, la personne est invitée à se réinsérer sur le plan professionnel et, dans la cadre de cette réinsertion, elle preste du travail gratuit dans les Centres de réadaptation professionnelle. Des 'Job coaches' sont engagés dans des centres de réadaptation fonctionnelle8 dans le cadre de la réforme des soins de santé mentale en Belgique

Ces mesures laissent augurer du pire.

  • Pour les intéressés : sanctions, exclusion du régime chômage et – ou du régime assurance maladie, précarité, misère

  • Elles trahissent l'idéologie du salaire au mérite mais que deviennent les enfants ou les personnes âgées, les malades, les faibles, les handicapés dans une société où tout s'achète, où rien ne s'offre ?

  • C'est l'idée même de salarié social – chômeur, invalide, malade, pensionné – qui serait un poids, une charge ou un coût qui empoisonne l'existence de gens déjà malmenés par la vie. Cette idée poussée à l'extrême aboutit aux systèmes de gestion de la population les plus ignobles qui soient.

  • Ces politiques mettent aussi la pression sur le monde du travail dans son ensemble par le jeu de la concurrence entre les travailleurs. Cette violence affecte aussi bien les travailleurs en décompensation psychique, les enfants baladés de stage en garderie ou encore les personnes âgées placées dans des homes en manque de personnel où leur rythme n'est pas respecté.

 

En mettant en œuvre les politiques sociales actuelles, le gouvernement fait preuve d'un déni pathologique de cette réalité, de la violence et l'incurie du marché de l'emploi. Au lieu de traiter l'augmentation de l'incidence des troubles psychiques, et de leurs conséquences (consommation de psychotropes légaux et illégaux), comme un défi de santé publique pour lequel une réflexion sociétale s'impose, le gouvernement met en œuvre la violence institutionnelle.  

Nous sommes tous concernés par ces dérives en tant qu'humains parce qu'elles nous dénient le droit à notre faiblesse, à notre finitude, à notre humanité.

En conséquence, nous citoyens, travailleurs avec ou sans emploi, professionnels ou usagers de la santé, appelons à :

 

    • Une économie au service de l'humain – et non l'inverse.

    • Une réflexion sur l'organisation de la soumission de l'activité professionnelle au marché de l'emploi, au coût de l'emploi en terme de bien-être, de santé et de souffrance.

    • Un développement de la sécurité sociale, patrimoine économique, symbolique et humain.

    • Un soin, une protection, un respect inconditionnels des plus fragiles et de la fragilité de tous.

    • Un développement de la qualité de notre civilisation, à une construction d'un vivre-ensemble harmonieux. 

 

Concrètement, nous exigeons ;

1. La fin de l'activation et de la dégressivité des allocations de chômage pour tous les chômeurs.

2. La séparation entre les politiques de santé et les politiques d'emploi, entre l'Inami, l'Awiph et le Forem.

3. L'arrêt de la coercition des personnes en invalidité ou en handicap, de telle sorte que, tout en préservant leurs droits, elles puissent accéder à des activités consenties qui font sens.

 

 

 

1 Selon http://economie.trends.levif.be/_politique-economique/emploi-evolution-chomage-belgique.html, le chômage est passé de 7,2 % en 2011 à 7,6 % en 2013.

2 Service public wallon de l'emploi et de la formation.

3 Service public flamand de l'emploi et de la formation

4 Voir la question parlementaire de Graziana Trotta, http://www.parlement-wallon.be/content/default.php?p=04-03-02&type=all&id_doc=45281.

5 L'institut national d'assurance maladie

6 Agence Wallonne pour l'Intégration de la Personne Handicapéee

7 Cf: convention Forem-Inami-Awiph: http://riziv.fgov.be/news/fr/pdf/Convention_2013.pdf

Par Roland Gori, à lire dans Libération