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Dans un entretien au « Monde », deux professionnels de la santé psychique estiment que faire des soignants des « surhommes » peut finir par être préjudiciable à leur état mental.
Ils sont « en première ligne » dans la « guerre » déclarée par Emmanuel Macron contre le coronavirus, « un ennemi invisible » qui a jusqu’à présent fait plus de 1 300 morts en France. Depuis le début de la crise sanitaire en janvier, les personnels hospitaliers et les praticiens libéraux font l’objet de nombreux hommages, de la part de Français anonymes, mais aussi du chef de l’Etat. Son discours prononcé à Mulhouse, mercredi 25 mars, n’a pas fait exception.
Malgré cette reconnaissance, l’état psychologique des soignants reste très fragile, font valoir au Monde Bernard Granger, chef du service de psychiatrie à l’hôpital Tarnier, co-initiateur de la ligne d’écoute destinée aux soignants de l’Assistance publique de Paris et Marie-José Del Volgo, ancienne praticienne hospitalière à l’Assistance publique de Marseille et cocréatrice d’une ligne d’écoute indépendante.
Depuis le début du confinement, les gestes de solidarité et de reconnaissance envers les soignants se multiplient. Certains Français les applaudissent de leur fenêtre tous les soirs à 20 heures, d’autres ont fait don de leurs surplus de masques. Le président de la République a, pour sa part, remercié ces « héros en blouse blanche » dans son discours du 12 mars. Ces gestes améliorent-ils le moral des soignants ?
Bernard Granger : Les applaudissements sont appréciés comme une juste reconnaissance des efforts fournis actuellement par le personnel hospitalier. Mais si ces élans ne débouchent pas sur la décision, mais sur la seule promesse, de redonner des moyens à l’hôpital une fois l’épidémie passée, ce sentiment de réconfort pourrait se muer en colère. En effet, le travail exceptionnel fourni aujourd’hui par les personnels ne doit pas faire oublier celui accompli le reste de l’année, dans une pénurie et un dénuement ignorés depuis trop longtemps.
Marie-José Del Volgo : Il est dangereux de faire endosser aux soignants le costume du héros. Etre un héros, cela signifie se sacrifier, souffrir en silence. Le héros ne demande ni aide ni moyens. Le héros est un surhomme. Cette approche fait peser sur les épaules des soignants une immense responsabilité, tout en leur interdisant de reconnaître leur propre vulnérabilité. Or, comme tout être humain aux prises avec des circonstances aussi difficiles, les soignants auront besoin de faire appel à une écoute extérieure pour sortir de cette catastrophe et du confinement auquel ils sont, ne l’oublions pas, aussi contraints. Pour eux, c’est au moins la double peine.
La reconnaissance qui leur est due consiste à leur donner les moyens de se protéger, de récupérer, plutôt qu’alourdir leur charge de travail. Il faut aussi les rétribuer à hauteur de leur travail, qui concilie technicité et engagement, dans un métier qui demeure plus que jamais une vocation.
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De nombreuses lignes d’écoute à destination des personnels hospitaliers et des soignants libéraux ont été mises en place depuis la semaine dernière, dont celles auxquelles vous participez. Comment expliquer qu’elles ne reçoivent que très peu d’appels à ce stade ?
Bernard Granger : Les soignants des régions les plus touchées sont accaparés par le travail, et cela devient progressivement le cas pour les autres régions. L’urgence est de sauver des vies. Ils estiment qu’ils ont choisi leur métier pour prendre soin des autres, pas d’eux. Mais à mesure que la crise sanitaire va durer, leurs réserves d’énergie vont s’épuiser. Il faut donc faire passer un message : « N’attendez pas de craquer pour demander de l’aide. »
« Nous avons constaté que certains personnels hospitaliers se sont déjà effondrés par épuisement émotionnel ou sous le coup de l’angoisse »
Nous avons constaté que certains personnels hospitaliers se sont déjà effondrés par épuisement émotionnel ou sous le coup de l’angoisse. Ils savent que la vague est devant eux, sans connaître son ampleur ni l’heure à laquelle elle viendra les submerger. Il ne faut pas attendre de ne plus pouvoir se faire aider, d’abord par ceux qui sont autour de soi, puis par ceux dont c’est la fonction. D’autant que les soignants refusent généralement les arrêts maladie ou les périodes de repos, se sentant coupables de rester chez eux tandis que leurs collègues travaillent dans des conditions difficiles.
Marie-José Del Volgo : Un des phénomènes du burn-out consiste en une dépersonnalisation. Les soignants épuisés « se forgent une carapace », comme ils disent, pour pouvoir tenir et se comportent avec les patients de manière très technique, ils mettent de côté leurs affects. Ceux qui disent que « les lignes d’écoute, ça n’est pas pour moi » sont peut-être déjà dans cette mise à distance de leur vulnérabilité, cela revient à dire qu’il ne faut pas s’écouter pour poursuivre une mission « héroïque ».
Si cette absence de reconnaissance de sa vulnérabilité n’est pas tenable à terme, faire appel à un professionnel ne doit cependant pas être une injonction de plus dans un moment où nous sommes tous privés de la plupart de nos libertés essentielles. Cela doit rester un cheminement personnel.
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Quelles réponses apportez-vous aux soignants qui vous appellent ?
Bernard Granger : Notre rôle est d’écouter, d’informer, de rassurer et de soulager. Dans le cas d’une situation grave (burn-out, état de stress, décompensation dépressive…), nous pouvons assurer un soutien prolongé.
Marie-José Del Volgo : L’enjeu pour nous n’est pas de « psychologiser », voire de « psychiatriser » la souffrance des soignants qui nous appellent. Nous tentons de les aider en les écoutant, en les amenant à dire leurs angoisses, leurs insomnies, leurs cauchemars, leur peur d’être contaminé ou de contaminer leurs proches et leurs patients, ou toute autre singularité.
Les soignants en exercice libéral sont à cet égard plus exposés au risque de contamination : ils manquent de masques et autres protections, et doivent malgré tout accompagner vers la mort, trop souvent seuls, certains de leurs patients trop âgés pour être admis en réanimation.
Par Roland Gori, à lire dans Libération
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