Mise en cause, débordements et réfraction des métiers du travail social - Michel Chauvière

 

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Ces dernières décennies, d’abord parce qu’il est considéré comme coûtant trop cher pour de bien maigres résultats, ce qui est fort contestable, le travail social s’est vu imposer de façon très verticale d’importants changements structurels et doctrinaux. En réalité, sous  couvert de rénovation des pratiques de terrain et de proclamation de l’évangile de l’inclusion, un modèle résolument néo-libéral se met en place, individualiste, court-termiste et quasi-marchand, au point d’amorcer la fin du social comme un véritable travail.

Qu’est-ce que le travail social ?

Aujourd’hui, en France, un travail social professionnel est assuré par un certain nombre de professionnels appartenant à différents métiers apparus tout au long du XXe siècle (assistant social, éducateur spécialisé, moniteur-éducateur, animateur socio-éducatif ou socio-culturel, éducateur de jeunes enfants, techniciens de l’intervention sociale et familiale, aides à domicile, médiateurs, sans oublier les directeurs, chefs de service, coordinateurs, formateurs, etc.). Selon les modes de calcul utilisés, ces professionnels seraient plus d’un million de salariés, de tous niveaux de qualification de 3 (CAP) à 8 (Doctorat). Ils exercent dans des domaines distincts : le socio-administratif (aide sociale), le socio-judicaire (délinquance et protection de l’enfance), le socio-éducatif (enfance, jeunesse, prévention), le médico-social (handicaps et personnes âgées dépendantes), la petite enfance, le socio-familial (parentalité, médiation), le socio-économique (insertion, apprentissage), formation des professionnels, etc. Le secteur public est minoritaire, les associations bénéficiant de financements publics sont nettement majoritaires, avec la bénédiction des pouvoirs publics  le privé lucratif s’est récemment développé dans les domaines solvables : petite-enfance, handicap adulte et surtout dépendance (environ un quart des dispositifs). Sans oublier les particuliers employeurs principalement dans le domaine de la vieillesse.

Un travailleur social va en personne au contact de ceux qui sont dans le besoin ou nécessitent un support particulier, selon une éthique propre et avec des méthodologies empruntées au meilleur des sciences humaines, où la parole et la relation sont centrales. Ayant fait le choix des métiers du lien et du bien social, ces travailleurs sont tout à la fois engagés et intégrés. De ce fait, ils dépendent de l’état des politiques publiques et des conceptions de la démocratie sociale, à un moment donné. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les précieux analyseurs de la société qu’ils sont(1), soient souvent perçus comme de potentiels contre-pouvoirs, quand ils ne sont pas rendus simplement responsables des crises que nous traversons.

Existe-t-il des fondamentaux, quels sont les cœurs de métier ? L’évocation d’un «  carré des intelligences sociales » permet de répondre à ces questions. Quatre piliers s’en dégagent, avec des combinaisons variables selon les métiers : des droits, des institutions, des savoirs et une clinique(2).

Dans un État de droit, l’existence de droits créances opposables à la société conditionne la possibilité d’un travail social légitime. Le droit social est d’abord créateur d’obligations collectives, ce qui le distingue de la simple charité ou de l’humanitaire.

Mais les droits n’ont  pas d’effectivité propre. Il leur faut être relayés par des institutions, au sens de formations organiques, vivantes et dynamisées par une forte dialectique de l’institué et de l’instituant. En cela, les institutions sociales relèvent de l’esprit du service public, loin de toute relation marchande « sur un marché donné », au sens du droit européen(3), loin également des simples dispositifs conjoncturels qui prolifèrent, du genre « zéro sans solution » ou « réponse accompagnée pour tous » dite RAPT !

L’approche des questions sociales exige encore un important effort de connaissances partagées. Ce savoir social mobilise des théories, se nourrit de l’expérience et ne peut être réduit à des connaissances disponibles en un clic via des moteurs de recherche. C’est pourtant ce vers  quoi nous entraîne le « capitalisme cognitif » choisi par l’Europe avec notamment la « stratégie de Lisbonne ».

Enfin, par définition, la posture clinique signifie être attentif à chacune et chacun dans sa singularité, en situation et selon les circonstances. Elle se réalise dans la rencontre de deux subjectivités. Ce dernier pilier est le plus caractéristique du travail social professionnalisé, sa signature en quelque sorte ; il participe en bonne place à la définition et à la déontologie de la plupart des métiers.

Leur activité, émancipée par le salariat, constitue, à n’en pas douter, un progrès considérable dans la mise en œuvre concrète de la solidarité nationale en direction des plus vulnérables ou en grande difficulté, à côté des systèmes plus institués (école, justice, santé, sécurité sociale). Ils réalisent une mission de service public, y compris lorsque plus de 70 % de leurs employeurs sont des associations selon la loi de 1901, avec financement public. L’intérêt général a en effet guidé cette lente édification. Ce moteur a non seulement fait progresser ensemble les droits sociaux, des institutions pérennes et une forte professionnalisation. Il a aussi permis que se renforce une réponse fiable et durable, soutenue par des  supports dédiés et des allocations substantielles, à des droits sociaux acquis par des luttes. Longtemps, le secteur marchand a été tenu à l’écart des politiques d’action sociale pour incompatibilité fondamentale en valeurs. Aujourd’hui, le « social en actes » est encore principalement financé par l’impôt (aide sociale, budget de la justice…) et par les organismes de protection sociale (sécurité sociale, caisses complémentaires…). Mais le mode de gestion a beaucoup changé. Un tel acquis est pourtant difficilement remplaçable, sauf à accepter de revoir à la baisse les objectifs séculaires d’obligation et de qualité dans la solidarité.

Du social, comme s’il s’agissait d’un marché

Au cours des dernières décennies, en France, le couple que formaient depuis les années 1970 l’action sociale (au sens politique et administratif) et le travail social (non-caritatif, non lucratif, salarial et reconnu par les autorités  publiques(4)) a perdu de sa légitimité historique et de sa force symbolique. Depuis la mise en  œuvre de la Loi organique sur les lois de finances – LOLF (2001) suivie de la Révision générale des politiques publiques – RGPP (2007), l’action sociale a cédé la place à la cohésion sociale, concept très vague, avant tout euro-compatible. En application, le « travail social » est talonné par 1’« intervention sociale » qui, débordant le seul salariat, intègre le bénévolat, le volontariat et, surtout, les emplois de service à la personne aux plus bas niveaux de qualification, sans besoin de doctrine robuste. L’« action sociale » ne subsiste, comme simple catégorie administrative, que dans l’intitulé du code de l’action sociale et des familles adopté en 2001. La loi de janvier 2002, dite de rénovation, visait certes le secteur social et médico-social, mais surtout préparait invisiblement l’intégration ultérieure de tout le médico-social (équipements et professionnels) dans le sanitaire et sa régulation par les agences régionales de santé- ARS, mises en place par la loi Hôpital, patients, santé, territoires – HPST (2009). Depuis l’acte II de décentralisation (2003), les présidents des conseils généraux sont également promus chefs de file de l’action sociale, ce qui couvre le financement et, pour partie, l’orientation de la protection de l’enfance, des aides aux personnes handicapées et âgées, du revenu de solidarité active (RSA), etc. Mais cette orientation fait des professionnels « le bras armé au quotidien des politiques que nous devons à nos concitoyens(5) », soit une beaucoup plus forte instrumentalisation que par le passé. Avec des résultats loin d’être probants, ainsi en matière de protection de l’enfance.

Nous étions dans une économie élargie de « service public », basée sur le salariat des intervenants sociaux, protégés par des statuts ou des conventions collectives relativement favorables, soutenus financièrement par une politique de moyens matériels et humains en amont, où la  segmentation des métiers était relativement contenue et même contrôlée en qualité, notamment par l’outil qualitatif du diplôme d’État et ses équivalents. Depuis trente ans, nous sommes précipités dans une économie concurrentielle de prestations et de services, les financements sont considérés comme des investissements régulés par les résultats et les performances réalisées en aval. Le barycentre n’est plus le professionnel de métier et son savoir-faire, mais l’opérateur/employeur capable, comme s’il était une entreprise, d’affronter la concurrence (ce nouveau régulateur général), d’obtenir des parts de marché avec des résultats (ou performances), le tout au meilleur coût. Sous prétexte de complexité des problèmes sociaux et de tassement des ressources disponibles, la segmentation des métiers s’est accrue pendant que les niveaux de qualification exigibles s’effondraient (emplois précaires sous-qualifiés, déprofessionnalisation progressive, intérim, etc.). La formation est devenue un enjeu de développement régional de l’emploi avant tout (ou employabilité), de référentiels et de calculs d’équivalences (via la validation des acquis de l’expérience, par exemple), quand elle était d’abord un projet de qualité humaine et technique, de mobilisation et de responsabilisation des futurs professionnels.

L’État, de son côté, tend à devenir un simple animateur des solidarités, comme vertu personnelle ou locale, plus que comme obligation collective, en oubliant qu’il est normalement le garant des droits créances et le protecteur des systèmes institutionnels et professionnels pour y répondre.

En Europe comme en France, les gestionnaires ont maintenant pris le pouvoir sur le secteur social, désormais considéré comme une activité économique ordinaire. L’État, de son côté, tend à devenir un simple animateur des solidarités, comme vertu personnelle ou locale, plus que comme obligation collective, en oubliant qu’il est normalement le garant des droits créances et le protecteur des systèmes institutionnels et professionnels pour y répondre. Partout s’impose une boîte à outils qui réifie l’action et phagocyte les esprits, jusqu’en matière de formation(6).

Cette mutation hyper-gestionnaire, au service de 1’économie néolibérale, gagne aussi les fondements anthropologiques du vivre ensemb1e(7). On observe une plus grande instrumentalisation des droits sociaux, à commencer par le droit du travail, et une moindre attention à leur effectivité ainsi qu’une attaque contre les institutions, considérées comme totalitaires et contraires aux libertés individuelles. D’où la norme de désinstitutionnalisation. Le désir de savoir et la recherche critique régressent, au profit de la consommation de résultats et de la communication. Enfin, la clinique est attaquée comme premier lieu de connaissance et de rencontre, remplacée par des  référentiels et des recommandations de bonnes pratiques. La tyrannie de l’évaluation s’est imposée partout(8).

Dans le même temps, les effectifs globaux du travail social professionnel ont certes progressé en nombre, mais sans politique globale ni doctrine pour les différents métiers. Plus concrètement, on note deux mouvements principaux et une innovation significative. Au plan horizontal, aux côtés des quatorze titres sanctionnés par des diplômes d’État de niveau 5 ou 6 de qualification, ont proliféré des cadres d’emploi moins qualifiés, plus flexibles et moins rémunérateurs dans les domaines innovants de l’insertion, de la médiation, de la téléphonie, du coaching, de l’animation, de l’inclusion scolaire. S’ils correspondent à une réelle activité salariale, ils ne constituent pas pour autant des professions au sens plein du terme, mais l’indice d’une déprofessionnalisation relative.

On remarque aussi une plus forte différenciation verticale entre conception et exécution. D’un côté, progressent les fonctions de management, d’encadrement, d’ingénierie, de consulting, d’évaluation (avec le plus souvent des formations de niveau 6 à 8 pour les recrutements externes, en concurrence avec les diplômes supérieurs du travail social et les promotions internes. De l’autre, se multiplient les bas niveaux de qualification 3 et même 4, voués à des tâches d’exécution, sous évaluation hiérarchique renforcée, dans des domaines où l’exigence professionnelle est considérée comme moindre (auprès des personnes âgées, par exemple). D’où aussi la crise dans les EPHAD.

À ce tableau, s’ajoutent enfin non seulement l’arrivée d’opérateurs lucratifs dans les secteurs les plus solvables, mais aussi un travail social libéral, permettant à des professionnels devenus autoentrepreneurs, parfois pourtant titulaires de diplômes d’État, de négocier leurs prestations d’accompagnement ou de prise en charge technique, avec les encouragements des  pouvoirs publics. Ce qui porte atteinte à l’éthique clinique et aux valeurs de l’incarnation et de l’engagement dans ce type de travail. D’où un ralentissement inouï des recrutements.

Un travail à mains nues

Si la nouvelle question sociale élargit le domaine du travail social, elle l’interpelle aussi dans deux directions : la connaissance  et l’éthique. Que savons-nous de la question sociale d’aujourd’hui ? Pas grand-chose à vrai dire. Comme si l’on ne voulait pas trop interroger les causes lointaines ou générales des situations vécues par nos concitoyens et surtout éviter les catégories classiques (pauvreté, inégalités, exploitation…). La littérature spécialisée regorge de propositions conceptuelles et argumentatives nouvelles, mais ce ne sont souvent que des bavardages d’antenne.

Ainsi s’est imposée en France, dès les années 1980, la notion d’« exclusion › (qui d’ailleurs n’a jamais fait consensus au plan européen), pendant que se répand depuis peu la notion d’« inclusion ›,  qui n’est pas son antonyme. Parallèlement sont apparues des désignations construites sur le même modèle, en partant des préfixes « dé › ou « dis » qui marquent en général la privation, le déficit (déliaison, désaffiliation, disqualification, désenchantement, « dissociété », etc.), au risque de naturaliser les situations, de stigmatiser les populations et de gommer le rapport social en jeu. De même, en psychiatrie, on a vu proliférer les « maladies » en « dys », souvent à l’initiative des entreprises de médicaments. Comme d’autres, le travail social est confronté à cette abondance qui sature son horizon cognitif, respecte bien peu la parole des gens concernés, disqualifie les savoirs d’expérience et la grammaire des métiers des différents intervenants de terrain.

Complétant la distinction fondamentale faite par Max Weber entre éthique de conviction et éthique de responsabilité(9), à l’instar d’autres métiers du lien social, le travail social y ajoute une forte éthique d’implication. Cette pratique s’exerce en effet à mains nues, avec le seul support de la parole, sans parfois disposer des moyens matériels, financiers ou techniques à la hauteur  des difficultés rencontrées. Sauf cas particulier, le travailleur social ne crée pas d’emplois, pas     de logement, pas de revenus. Le soutien qu’il apporte à des personnes en difficulté n’est pas contractuel, mais plutôt de l’ordre d’une pédagogie ou d’un halage.

Si l’approche de l’enfance en difficulté a longtemps réduit ces risques par l’effet de l’asymétrie éducative (que connaissent aussi les enseignants !), l’approche du monde adulte des personnes handicapées, exclues, pauvres, dépendantes et autres n’offre pas cette couverture. Le travailleur social est beaucoup plus exposé en personne à la parole crue de l’autre, à la symétrie des droits, avec parfois même une situation personnelle également précaire. Il existe en effet des travailleurs sociaux pauvres, sans logement décent !  

Le social en péril

Pour y répondre, différentes stratégies discutables sont mises en œuvre par les pouvoirs publics, parmi lesquelles le dit     droit des usagers, ce qui demande à être sérieusement déconstruit. Plusieurs travaux ont montré, en effet, que la fausse découverte de l’usager au tournant des années 1990-2000 (en même temps que la LOLF, ce qui n’est pas un hasard), masquait un profond et large changement de modèle économico-politique, entraînant de nombreux effets délétères. Derrière des discours pompeux sur la participation citoyenne, en réalité la citoyenneté républicaine recule et avec elle toutes ses composantes : 1’intérêt général, l’esprit de service public, la conception organique du vivre ensemble, l’obligation de solidarité, la cotisation sociale, l’ayant droit… Le citoyen est désormais vu comme un consommateur de services, idéalement produits et « améliorés » en qualité par la seule concurrence. Il est traité comme un usager devenu à son insu un client, auquel des droits subjectifs sont octroyés en contrepartie de son acceptation du tournant commercial de tout le secteur social. Qu’il s’agisse de l’école, de la santé, du social, voire de la justice, rien ne doit plus faire obstacle au marché ! L’usager individuel signe aujourd’hui la bascule néolibéra1e(10).

Avec le nouveau management public inspiré du secteur privé lucratif, pour tout décideur ou entrepreneur social, être au service de, accompagner, protéger, ne se conçoit plus sans normes d’exécution dûment établies et soumises à une évaluation continue des résultats. C’est la raison d’être des recommandations de bonnes pratiques en plein essor, à 1’instigation de l’Agence nationale de 1’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico- sociaux, puis aujourd’hui de la Haute autorité de santé – HAS qui l’a absorbée. Loin d’être des conseils suffisamment fondés et discutables, ces recommandations ont d’indéniables effets dogmatiques sur les savoirs et normatifs sur la vie quotidienne des professionnels au sein des institutions. On peut s’en convaincre dans champ de l’autisme soumis à des recommandations presque comminatoires, imposant les approches psycho-neuro-comportementales et interdisant toute référence à la psychanalyse ou à la psychothérapie institutionnelle(11). Ce qui renforce la subordination des salariés, au risque de beaucoup de souffrance au travail et d’une perte de sens.

Avec le nouveau management public inspiré du secteur privé lucratif, pour tout décideur ou entrepreneur social, être au service de, accompagner, protéger, ne se conçoit plus sans normes d’exécution dûment établies et soumises à une évaluation continue des résultats.

La fin du social comme travail ?

Aujourd’hui, en même temps qu’opèrent de véritables machines de guerre contre les professions et les institutions aussi bien en établissement qu’en milieu ouvert,  les idées nouvelles ne sont, le plus souvent, que des rhétoriques et des masques. L’expression « l’usager au centre » est brandie pour légitimer 1’action et contrer des « maltraitances » supposées partout, alors     qu’avant tout les moyens manquent dans de nombreuses institutions. L’« activation » individuelle des plus vulnérables, c‘est-à-dire l’injonction qui leur est faite d’être actifs et responsables de leur situation, apparaît comme la seule doctrine qui vaille. Ce qui évidemment allège la dépense publique et fait refluer les obligations de solidarité nationale pour l’État social.

Depuis peu, une défense des spécificités des métiers et des formations sociales s’organise(12).  Accusés par les « réformateurs › de corporatisme ou de nostalgie (« canal historique »), ces « frondeurs › soutiennent au contraire la nécessité de l’innovation, de la créativité, le respect et l’écoute des gens avant leur activation, sans démagogie. De surcroît, ils exigent la reconnaissance pour tous les travailleurs sociaux d’un devoir et d’un droit d’interpellation du politique. Ce qui n’est recevable  ni par les autorités publiques ni par les opérateurs/employeurs, du public comme du privé, trop préoccupés par les économies financières et les parts de marché à gagner. Pour eux, le travailleur social est d’abord une « ressource humaine » et son salaire une variable d’ajustement. Et, hélas, il existe aussi certains professionnels qui soutiennent la démarche dite rénovatrice des pouvoirs publics.

Sans doute le mal est-i1 plus profond. Quand l’expertise l’emporte manifestement sur les « savoir s’y prendre », quand la gestion des flux, des stocks et des résultats ruine les pratiques  institutionnelles et professionnelles, quand l’obligation de solidarité est remplacée, via les médias, par l’émotion, la compassion, le don –  du moins, la promesse de don -, quand la générosité privée cible ses pauvres et veille à la rentabilité de son mécénat ou de ses investissements dits sociaux, il n’est pas étonnant que tout travail du social s’il est de type clinique soit en grande difficulté. On peut même craindre que ces processus cumulés ne signent la fin du social comme travail, comme institution et comme éthique collective, sa banalisation quasi marchande et sa régression en valeur.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Michel Chauvière, Dominique Depenne, Martine Trapon, Dialogue sur le génie du travail social, Paris, ESF, 2018
2 Modèle développé dans Michel Chauvière, L’intelligence sociale en danger. Chemins de résistance et propositions, La Découverte, 2011.
3 Michel Chauvière, Joël Henry, « Quel statut pour les services sociaux dans l’Union européenne ? Arguments pour des services sociaux non économiques d’intérêt général », Revue de droit sanitaire et social, n° 6, nov.-déc. 2011, pp. 1043-1058.
4 Via des diplômes d’État, des statuts, des conventions collectives opposables aux financeurs…
5 Michel Dagbert, président du conseil général du Pas-de-Calais, Journées techniques de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des départements, Arras, sept. 2014
6 Michel Chauvière, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, La Découverte, 2010, 1ere éd. 2007.
7 Jean-Yves Dartiguenave, Jean-François Garnier, La fin d’un monde ? Essai sur la déraison naturaliste, Pur, 2014.
8 Michel. Chauvière, « Esquisse d’une sociologie critique de la nouvelle norme d’évaluation », Revue française d’administration publique, ri° 148, 2013, pp. 953-966.
9 Max Weber, Le savant et le politique, Plon, 1995 [1959].
10 Michel Chauvière, Jacques T. Godbout (dir.), Les usagers entre marché et citoyenneté, L’Harmattan, 1992.
11 Cet exemple de l’autisme est paradigmatique des changements qui affectent tout le secteur médico-social, confronté à la désinstitutionnalisation, au mantra de l’inclusion et concrètement à des financements de plus en plus conditionnés, des suppressions ou fusions-absorptions, pour laisser la place à des plates formes de services et de prestations, avec des travailleurs sociaux devenus des autoentrepreneurs. La pétition Urgence, Handicap : Danger ! a obtenu à ce jour près de 42000 signatures de parents, professionnels et amis : http://chng.it/5qxzC97Wvb
12 Le Collectif Avenir éducs et certains syndicats ont alerté sur ces dangers dès 2014. Voir Jean-Sébastien Alix, Didier Bertrand, Jean-Marc Brun, Michel Chauvière, Gabrielle Garrigue, Debout pour nos métiers du travail social, Toulouse, érès, postface de Roland Gori, « Le travail social un exemple de professions canaris »

Par Roland Gori, à lire dans Libération