Non, les psychologues ne sont pas à l'image qu'en donne le délégué ministériel à la santé !

Nous, psychologues réunis au sein de la CPL – qui regroupe 22 collectifs et rassemble 22000 psychologues, soit plus d’un quart de la profession – sommes choqués par les propos de M. Bellivier, délégué ministériel à la santé, dans le journal l’Express.

Non, les psychologues ne sont pas des paramédicaux. Ils sont issus des sciences humaines et sociales et doivent rester dans ce champ. La santé mentale n’est pas qu’une affaire de médecine, elle est aussi une affaire d’humanité, et les sciences humaines ont toute leur place, depuis qu’elles existent, dans la prise en compte de la souffrance psychique.

Non, les psychologues ne sont pas mal formés. Ils ont une formation universitaire de haut niveau. Leurs formations sont systématiquement adossées à des laboratoires de recherche, en sciences humaines, et intègrent les recherches les plus récentes des laboratoires concernés comme de toutes les équipes qui travaillent dans le même champ. Tous ces laboratoires sont évalués, notés, agréés, comme tous les autres dans toutes les disciplines scientifiques, et ils créent de la science, malgré ce qu’essaient de faire croire certains qui voudraient réduire les contours de la science et exclure tout un pan du savoir scientifique, celui des sciences humaines.

Non, les stages des étudiants ne sont pas aléatoires, ils sont bien agréés par les équipes d’enseignants-chercheurs responsables des formations, comme la loi les y oblige (arrêté du 19 mai 2006 relatif aux modalités d'organisation et de validation du stage professionnel). Et les maîtres de stage participent entièrement à la formation et à la validation des stages, comme la loi le prévoit (même arrêté).

Oui les étudiants peuvent faire des stages en « chirurgie », comme le déplore M. Bellivier, mais aussi dans tous les services de médecine somatique, et partout encore où exercent des psychologues, c’est-à-dire partout où s’exprime la souffrance psychique, et où les psychologues sont aptes à la prendre en compte. Et évidemment en psychiatrie, pour les étudiants des Mentions de psychopathologie.

Non les psychologues ne sont pas contre-indiqués pour les psychopathologies lourdes, les troubles psychiatriques et autres. Ils s’en occupent déjà, depuis toujours, depuis que la profession existe, à l’hôpital comme ailleurs.

Et les psychologues n’ont pas attendu M. Bellivier pour continuer à se former tout au long de leur pratique.

Les contenus de formation, comme les pratiques des psychologues, répondent à la diversité et la richesse de la psychologie, qui est une discipline scientifique tolérant les épistémologies plurielles. Comme pour toutes les sciences, la construction de connaissances en psychologie suppose le débat contradictoire, la « disputatio » universitaire. Nous n’accepterons jamais de nous voir imposer une pensée unique et idéologique dictée par un quelconque expert aux pouvoirs illégitimes. Nous refuserons toujours une psychologie et une psychothérapie d’État.

Nous nous opposerons à tout projet d’une 6e année de formation pour une catégorie discriminée de psychologues. D’une part celle-ci n’apportera rien à la formation car elle se fera sans moyens supplémentaires : elle correspondra en fait à un M3, un Master étalé sur 3 années. Et d’autre part elle ouvrira la porte à une inféodation de la formation à la médecine, comme l’appelle de ses vœux M. Bellivier. Une véritable revalorisation de la profession ne peut passer que par la mise en place d’un Doctorat professionnel, comme le souhaite une majorité d’organisations de psychologues. Un Doctorat pour tous les psychologues, de toutes les spécialités, qui redonnera au diplôme le niveau de 3e cycle qu’il a perdu, et assurera pour chaque étudiant une expérience longue en institution, notamment en psychiatrie pour celles et ceux qui se destinent au travail de soin psychique (tout en étant rétribué par un vrai salaire et non par une « gratification » misérable).

Nous continuons d’appeler au boycott du dispositif MonSoutienPsy, et demandons le redéploiement des moyens dans le service public. Le financement alloué à ce dispositif permettrait en effet de créer plusieurs milliers de postes de psychologues là où les consultations gratuites pour les citoyens existent déjà, et où le manque de moyens est cruel : les CMP (Centres médico-psychologiques), mais aussi les institutions du médico-social, les universités (où exercent seulement 1 psychologues pour 15000 ou 30000 étudiants, selon les sources, alors qu’il en faudrait 1 pour 1500), les écoles, etc.

Nous refuserons avec autant de détermination la deuxième étape annoncée publiquement aujourd’hui, mais préparée de longue date.

Plutôt qu’augmenter le nombre de postes de psychologues dans le service public, comme dans le secteur privé qui participe aux missions de santé publique, M. Bellivier soutient l’État dans le choix de poursuivre leur asphyxie en instrumentalisant les psychologues libéraux et en externalisant les soins vers des dispositifs ubérisés et low cost.

Les consultations et les psychothérapies gratuites pour les citoyens, sans aucune discrimination (ni d’âge ni de type de souffrance psychique), existent déjà. Elles sont assurées par des psychologues du service public et du secteur privé participant aux missions de santé publique, qui travaillent au sein d’équipes compétentes, dans les CMP et autres lieux d’accueil de la souffrance psychique. Et il serait bien plus pertinent que M. Bellivier se soucie de la création de postes dans ces structures plutôt que d’imaginer des projets visant à dépenser l’argent public dans des dispositifs gadget.

Le projet de M. Bellivier est contraire aux principes et à l’éthique de nos pratiques. Il répond à une méconnaissance et une disqualification de la profession. Nous appelons l’ensemble des psychologues de toute spécialité et de toute orientation, mais aussi l’ensemble des universitaires et des étudiants, à s’y opposer fermement.

 

 

 

Par Roland Gori, à lire dans Libération