On n'apprend rien dans la sanction. Par Annie-Claude Jeandot

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Dans certains établissements scolaires Education Nationale, les plus exposés notamment, des enseignants ont "découvert" l'immense rejet de nombre d'enfants des quartiers de valeurs qui se disent républicaines. Un réflexe a surgi par endroits dits d'éducation, pas forcément suivi d'actes puisqu'il y a eu heureusement (et cela devient rare dans nombreuses salles des profs ) amorce de discussions. Réflexe de la sanction, de l'EXCLUSION de ces enfants, réclamer des excuses de ces enfants à une République qu'ils auraient offensée en refusant la minute de silence. Réflexe inquiétant dans ce contexte et dans un lieu d'éducation. réponse absolument dangereuse.

 

Pour certains enseignants qui peuvent poser encore avec les enfants LE politique en classe, c'était prévisible, ce refus, d'enfants réfractaires malgré l'horreur. La violence des mots et du ressenti chez nombre de  ces enfants est réelle et très inquiétante. Insupportable, comme les actes qui peuvent suivre ces mots. N'oublions pas que les frères Kouachi, Merah, assassins d'hommes et / ou d'enfants, sont jeunes et que se pose au centre de tout ce massacre de nos "idéaux" la question de l'Education et du projet de société dans lequel on les a balancés depuis tout petits. Je n'excuse pas la barbarie de leurs actes, je ne les dédouane de rien. Mais pour moi, avant de tirer, ils étaient déjà morts en eux, et d'ailleurs, tous meurent dans les jours qui suivent la mort qu'ils ont donnée. Comme ceux qui partent en Syrie. Qui tue cette promesse de vie que sont ces jeunes? Qui l'empêche de pousser, de croître, d'être porté haut?

 

 Educere. A l'heure d'un service public d'Education en deuil, de lui-même dans ces enfants qui tuent ou sont tués par ces mêmes, à l'heure d'une pédagogie, de compétences, néo évaluationnite, taylorisante, où les enfants sont formés dès le début en bons segments techniques...

Où en sommes nous? "Charlie, défends moi", un jour, en France.

"Des jeunes qui essaiment et déciment ", j'ai écrit à Laurent Ott samedi

"des hommes qui s'aiment et dessinent", m'a répondu Laurent, échos, échange qui s'est poursuivi, ci dessous

> Publié le 10 janvier 2015 par intermedes Robinson

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ON N'APPREND RIEN DANS LA SANCTION

C’est le collégien des cités à qui on promet une exclusion car il a refusé de faire une minute de silence pour Charlie Hebdo; c’est l’enfant qu’on punit car il a mal répondu à un enseignant dont il se sentait déprécié à longueur de discours.

Ce sont les acteurs sociaux et éducatifs, autant fatigués par leur présent que par le sombre avenir qu’on leur dépeint sans cesse, et qui finissent par rêver de: « Ca suffit comme cela ». « Assez! »

D’où vient cette croyance toujours vivace , que face à quelque chose qui nous fait peur, il suffirait de dire que « Stop, ça suffit on n’est pas d’accord »?

D’où nous vient cette croyance que non seulement nous pourrions, mais qu’en plus ce serait un impératif moral, de recaler la réalité? De la refuser?

Véritable injonction qui nous vient d’on ne sait où, qui semble être produite par l’air du temps, voici que nous sommes tous sommés de nous ranger dans le camp de ceux qui refusent une situation au nom de la valeur de nos idéaux ou de la certitude que nous incarnons le bien et la civilisation.

Terrible injonction qui fait passer celui qui a quelques doutes ou scrupules, pour un complice, un décadent, un ennemi absolu du moment.

S’écrier des « Ca suffit, maintenant c’est terminé » , comme on disait « Plus jamais ça » , en 18, a ceci de terrible que nous sommes là dans une pensée à la fois de toute puissance et d’impuissance.

Toute puissance : car on renoue dans ces énoncés émotionnels et collectifs avec la magie de l’incantation. Il suffirait de dire, de crier plus fort, de hurler tous ensemble pour que quelque chose change dans la réalité sociale, dans les conflits et les contradictions qui traversent notre civilisation. On ne cherche d’ailleurs même plus, avec ce genre de sentiment , à se demander comment on va faire , et surtout quoi faire. se pencher sur le sujet serait déjà le début d’une trahison, une perte de temps, une compromission face à la pureté du refus. On ne se salira plus les mains, on a la tête dans l’idéal. On refuse de retourner au travail de la réalité.

Impuissance: car bien entendu cette injonction à ce que « Ca » cesse  se voudrait autoréalisante . Il n’en découlera aucune idée, aucune intention, aucune action puisque l’injonction à ce que « Ca cesse » constitue à la fois « son » diagnostic, « son » programme et « son » évaluation. On est dans un énoncé tautologique, c’est à dire totalitaire.

Ce « Stop, ça suffit » se veut en effet un diagnostic, un constat , une révélation. Si nous en serions là, ce serait justement parce que nous ne l’aurions pas dit assez tôt; c’était il y a dix ans, vingt ans qu’il aurait fallu l’imposer. Mieux on se prend même à rêver que ce « Stop ça suffit » aurait dû être asséné avant même la première manifestation de ce qui nous remue. Et nous nous mettons à rêver encore de « Tolérance zéro ».

Programme d’action, car cette injonction n’a pas d’autre projet qu’elle même et de sa scansion, encore et encore. Il ne restera plus qu’à décliner et donner corps à ces énoncés dans tous les pans de la vie sociale, de l’éducation, et du vivre-ensemble.

Unique évaluation retenue puisque cet énoncé ne supportera qu’un critère de réussite: que cela cesse, que tout cesse; et tant que nous n’y sommes pas, cela indiquera qu’il faut, en rajouter encore.

Comme tout ce qui caractérise la pensée sécuritaire, l’injonction à ce que « Ca cesse » se nourrit d’elle même, exacerbant les tensions et vérifiant par là même, l’urgence de son programme. Elle est la déclinaison éducative et politique qui s’impose à nous autres acteurs sociaux, enseignants , éducateurs . Son autre déclinaison, bien entendu complémentaire, est policière et judiciaire.

Résister à cette pensée c’est résister au chantage de « la complicité » , de la « complaisance » qu’on nous fait publiquement. C’est affirmer qu’il est possible de penser même là où on nous a dit que toute pensée était coupable, et nuisible.

C’est affirmer que la réalité sociale est là, que la magie de la nier au nom de nos idéaux,  est destructrice, tout autant que la Haine de l’autre,  que nous rejetons pourtant.

Or, nous travailleurs sociaux et éducatifs devrions savoir mieux que quiconque que le véritable changement passe d’abord par le don et la transmission, avant toute sanction. On ne frustrera aucun jeune de la liberté qu’il n’a jamais connue. On ne défendra une société que si celle ci fait réellement société c’est à dire qu’elle comporte une solidarité en interne qui soit suffisante pour permettre à chacun d’y trouver une place.  On en défendra les valeurs de la collectivité et de la solidarité que si nous sommes capables de les faire exister, pour un moment, pour une classe, pour un groupe, pour un individu donné.

C’est à nous de donner des raisons de défendre ce qui vaut la peine. A nous de produire  la valeur que l’on voudra préserver. Et la seule chose avec laquelle nous pouvons être d’accord avec cet énoncé c’est sur l’urgence d’agir.

 

des liens!  assoc.intermedes.free.fr/

 

Par Roland Gori, à lire dans Libération