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Texte paru dans le journal Libération, et à lire aussi ici.
Tribune. La psychiatrie et la pédopsychiatrie n’en peuvent plus. Depuis déjà plusieurs décennies, ceux qui les font vivre ne cessent de dénoncer leur désagrégation et de lutter contre le déclin dramatique des façons d’accueillir et de soigner les personnes qui vivent au cours de leur existence une précarité psychique douloureuse. En vain le plus souvent. Ce qui est en crise, c’est notre hospitalité, l’attention primordiale accordée à chacun et à un soin psychique cousu main, à rebours du traitement prêt-à-porter standardisé qui se veut toujours plus actuel. Les mouvements des hôpitaux du Rouvray, Le Havre, Amiens, Niort, Moisselles, Paris… ont su bousculer l’indifférence médiatique et rendre visible au plus grand nombre le chaos qui guette la psychiatrie. Pour percer le mur du silence, il n’aura fallu rien de moins qu’une grève de la faim…
Devant cette régression organisée, nous nous engageons tous ensemble à soigner les institutions psychiatriques et à lutter contre ce qui perturbe leur fonctionnement. Patients, soignants, parents, personnes concernées de près ou de loin par la psychiatrie et la pédopsychiatrie, tous citoyens, nous sommes révoltés par cette régression de la psychiatrie qui doit cesser. Il s’agit pour nous de refonder et construire une discipline qui associe soin et respect des libertés individuelles et collectives.
Contrairement à la tendance actuelle qui voudrait que la maladie mentale soit une maladie comme les autres, nous affirmons que la psychiatrie est une discipline qui n’est médicale qu’en partie. Elle peut et doit utiliser les ressources non seulement des sciences cognitives, mais également des sciences humaines, de la philosophie et de la psychanalyse, pour contribuer à un renouveau des soins axés sur la reconnaissance de la primauté du soin relationnel. Notre critique de ce qu’est devenue la psychiatrie ne peut faire l’impasse sur la responsabilité de ses gestionnaires.
Les avancées de la recherche scientifique ne peuvent durablement être confisquées par des experts autoproclamés dont les liens avec l’industrie pharmaceutique sont parfois suspects. Les savoirs scientifiques ne doivent pas servir d’alibi à des choix politiques qui réduisent les sujets à un flux à réguler pour une meilleure rentabilité économique. Nous sommes face à une véritable négation du sujet et de sa singularité, au profit de méthodes éducatives, sécuritaires ou exclusivement symptomatiques. Les interdits de pensée sont devenus la règle d’une discipline où l’on débat de moins en moins. La psyché humaine est tellement complexe qu’elle n’obéit à aucune causalité, simple et univoque, et se moque des réductions idéologiques. Toute approche privilégiant une réponse unidimensionnelle est nécessairement à côté. Nous récusons, dès lors, toute politique d’homogénéisation des pratiques. Une politique qui détruit la cohérence des équipes et instrumentalise la parole des patients fige la capacité d’inventer à force d’injonctions paradoxales, dans la nasse de discours sans épaisseur et mortifères.
Aussi, si les budgets de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, sans cesse rognés depuis des années, doivent être largement revalorisés, comme l’exigent toutes les mobilisations actuelles, c’est l’appauvrissement des relations au sein des lieux de soins qui est notre souci premier. La standardisation des pratiques protocolisées déshumanise les sujets, patients et soignants. Le recours massif aux CDD courts, le tarissement organisé de la formation continue, l’inadéquation des formations initiales qui privilégient cours magistraux et visionnages de DVD sans interactions entre les étudiants et leur formateur, contribuent à la désagrégation des équipes au sein desquelles le turn-over est de plus en plus important. La continuité des soins et la cohésion des équipes en sont durablement compromises. Nous devons opposer à cet état de fait la spécificité de la maladie psychique, qui sous-tend la nécessité d’une approche singulière et d’un travail spécifique d’équipes pluridisciplinaires en institution psychiatrique ainsi que dans le médico-social, et la co-construction d’alliances thérapeutiques fécondes avec les personnes accueillies. C’est tout le monde de la psy et des psys, en institution ou pas, qui est concerné.
Nous voulons en finir avec l’augmentation continuelle du recours à l’isolement et à la contention, la contrainte doit cesser d’être la norme. Le droit des patients, hospitalisés ou non, est régulièrement ignoré, parfois volontairement bafoué. Cette violence institutionnelle, régulièrement dénoncée par la Cour européenne des droits de l’homme, touche en premier lieu les soignés, mais affecte aussi les soignants. La psychiatrie et le secteur médico-social doivent pouvoir s’appuyer sur des équipes stables avec des personnels non interchangeables quel que soit leur statut. Ils doivent pouvoir bénéficier d’une assise solide qui autorise la parole et propose de véritables évolutions de carrière.
Au-delà du soin, nous voulons travailler à des accompagnements alternatifs, nouer des liens équilibrés avec les différentes associations qui œuvrent dans la cité. Nous voulons multiplier les lieux qui cultivent le sens de l’hospitalité avec un accueil digne et attentif aux singularités de chacun.
Nous nous engageons à participer, organiser, soutenir tout débat, toute action ou mouvement cohérent avec ce manifeste, avec tous les professionnels, leurs syndicats, les collectifs, les associations de familles et d’usagers, et l’ensemble des citoyens qui souhaiteraient soutenir et développer une psychiatrie émancipatrice du sujet.
Nous appelons à participer à la manifestation nationale du 22 janvier à Paris. Debout pour le printemps de la psychiatrie !
Les premiers signataires : Alain Abrieu, psychiatre de secteur, AMPI, Marseille ; Isabelle Basset, psychologue clinicienne, CHPP, Amiens ; Mathieu Bellahsen, psychiatre, chef de pôle, EPS de Moisselles ; Dominique Besnard, militant des Cemea et membre des 39 ; Philippe Bichon, psychiatre, clinique de La Borde ; Pascal Boissel, psychiatre, président de l’Union syndicale de la psychiatrie ; Cécile Bourdais, enseignante-chercheure en psychologie, collectif des 39 et Psy soin accueil ; Fethi Brétel, psychiatre, Rouen ; Alain Chabert, psychiatre, USP ; Patrick Chemla, psychiatre chef de pôle Reims, psychanalyste, anime le centre Artaud et l’association la Criée ; Jérôme Costes, infirmier en psychiatrie ; Dominique Damour, collectif des 39 ; Pierre Delion, professeur de psychiatrie ; Sandrine Deloche, psychiatre des hôpitaux, Paris ; Yves de l’Espinay, cadre infirmier formateur ; Parviz Denis, psychiatre, praticien hospitalier, membre de l’ADA ; Patrick Estrade, infirmier de secteur psychiatrique ; Fanny Rebuffat, interne en psychiatrie, Reims ; Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique, superviseur d’équipes, rédacteur en chef adjoint de Santé Mentale ; Philippe Gasser, vice-président de l’Union syndicale de la psychiatrie, Uzès ; Yves Gigou, collectif des 39, Cemea ; Delphine Glachant, psychiatre des hôpitaux, Union syndicale de la psychiatrie, Les Murets ; Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie à Aix-Marseille université, président de l’Appel des appels ; Liliane Irzenski, pédopsychiatre, psychanalyste, collectif des 39 ; Serge Klopp, PCF, collectif des 39 ; Emmanuel Kosadinos, psychiatre des hôpitaux, EPS de Ville-Evrard ; Nicolas Laadj, SUD Santé Sociaux ; Marie Leyreloup, présidente Serpsy ; Sophie Mappa, psychanalyste ; Jean-Pierre Martin, Ensemble ! ; Simone Molina, Le Point de Capiton ; Pierre Paresys, psychiatre de secteur, vice-président de l’Union syndicale de la psychiatrie ; Martin Pavelka, pédopsychiatre, association des psychiatres du secteur infanto-juvénile ; Virginie Perilhou, infirmière en psychiatrie ; Laurence Renaud, «personne avec expérience psychiatrique», Réseau Européen pour une Santé Mentale Démocratique ; Pascale Rosenberg, USP, psychiatre, directrice du Cmpp Henri Wallon à Sainte-Geneviève-des-Bois ; Dominique Terres, psychiatre, psychanalyste, membre de l’ADA.
Liste des groupes et syndicats soutenant l’initiative : Appel des appels (ADA) ; association des psychiatres de secteur infanto-juvénile ; association méditerranéenne de psychothérapie institutionnelle ; Cémea ; collectif des 39 ; La Criée ; Humapsy ; Pinel en lutte ; le Point de Capiton ; les Psy causent ; Psy soins accueil ; réseau européen pour une santé mentale démocratique ; Serpsy ; fédération Sud Santé Sociaux ; union syndicale de la psychiatrie (USP).
Par Roland Gori, à lire dans Libération
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