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20.12.2019
Lettre ouverte à Madame Martine Wonner
Députée de la 4ème circonscription du Bas Rhin
Madame la Députée
Permettez moi de me rappeler à votre bon souvenir. Il y a quelques années, alors que j’étais encore en exercice à la Faculté de Médecine de Strasbourg, nous avons entretenu des rapports cordiaux et constructifs. Je n’ai pas oublié , entre autre, que vous avez soutenu la démarche du CAMUS (Centre d’Accueil Médico Psychologique Universitaire de Strasbourg) que j’avais mis en place sur notre campus en 1994. Vous ne pouviez ignorer que ce centre avait une vocation psychothérapique et que ses consultants d’alors avaient, comme moi, une formation et une pratique se référant à la psychanalyse. Je me souviens aussi d’échanges sur la rareté des cliniques psychiatriques privées en Alsace et ce que pourrait être une clinique idéale animée par un “esprit psychothérapique”. Dernier rappel: convaincu de vos meilleures intentions vis à vis d’une psychiatrie “œcuménique”, j’ai soutenu votre candidature auprès de la Commission Nationale de Qualification en Psychiatrie, dont j’assurais la présidence, et qui vous a accordé cette spécialité en 2006.
Quels n’ont pas été mon incrédulité première puis mon “ravissement” en découvrant que vous étiez signataire du plus médiocre pamphlet anti psychanalytique que j’ai pu lire au cours de ma carrière. Sur un ton violent et autoritaire cette pétition égraine les préjugés, les insultes, les condamnations haineuses dont les psychanalystes sont la cible depuis plus d’un siècle. Je pense inutile d’entamer avec vous une controverse , d’autres s’y sont déjà attelé. A défaut de polémique, vous aurez droit à un petit cour d’histoire de la psychiatrie.
Aux diffamations pures et simples, il n’y a pas à répondre. Freud s’en est bien gardé. A titre d’exemple, quand le professeur Alfred HOCHE (un des nombreux universitaires allemands militant dès le début du siècle dernier pour l’euthanasie des malades mentaux “incurables”) déclara le 28 mai 1910 au Congrès des aliénistes du sud ouest allemand tenu à Baden- Baden “ C’est une vraie épidémie psychique, ils (les psychanalystes) sont tous mûrs pour l’asile” , JUNG et FREUD en plaisantaient.
La suite ne prête pas à sourire. Comme vous le savez , toutes les dictatures ont persécuté les psychanalystes. Contraints à l’exil, déportés, exécutés aussi (John RITTMEISTER a été fusillé par les nazis le 13 mai 1943). Les psychanalystes exerçaient dans la clandestinité sous le régime soviétique (j’en ai rencontré plusieurs lors d’un congrès à Moscou en 1989, les langues commençaient à se délier).
La dictature militaire qui a sévi en Argentine entre 1976 et 1983 n’a pas démérité (je vous recommande “Le psychanalyste sous la terreur” ed. Matrice 1988)
Les américains, très “libéraux”, sont parvenus à marginaliser les psychanalystes non médecins par le jeu des compagnies d’assurance, dont les grandes firmes pharmaceutique sont actionnaires.
Tous ces faits passés et présents démontrent que quand les pouvoirs, politiques et financiers mêlés, s’attaquent à la psychanalyse, c’est un mauvais signe pour la démocratie.
Ne vous en déplaise, la psychanalyse est vivante. A Strasbourg la Clinique Psychiatrique Universitaire a su jusqu’à ce jour respecter la pluralité des “grands courants de pensée” de notre discipline. Les doyens de la Faculté de Médecine de Strasbourg ont durant mon exercice non seulement toléré mais pour certains soutenu et encouragé les enseignements se référant à la psychanalyse. La volonté affichée de chasser les analystes de l’Université fait injure à l’Université. Elle me fait honte pour ceux qui profèrent la haine avec une rage qui suffit seule à prouver que la psychanalyse touche au plus juste de notre condition…au risque de devenir insupportable.
Dieu merci, tous les élus ne partagent pas votre anathème !
Votre position d’élue du peuple français, vos liens avec l’Alsace et de ce fait avec notre Université auraient pu vous inspirer un minimum de retenue, quelques soient vos opinions personnelles sur la psychanalyse. Vous ayant connue plus clémente et nuancée, je m’interroge sur votre ingratitude présente. Loin d’en faire une atteinte personnelle, je ne puis m’empêcher de repenser à ce que me disait un jour Lucien ISRAEL “Si vous rendez service à quelqu’un, il est possible qu’il ne vous le pardonne jamais”
Recevez, Madame la députée, mes très respectueuses salutations
> Une députée LREM, membre d'une commission parlementaire sur la psychiatrie, s'adresse à l'USP
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13 décembre 2019 18:04
De : Martine Wonner
Objet : Psychanalyse et santé mentale : pour le respect de la santé publique et l’accès aux soins pour tous !
Bonjour,
J’ai appris ce jour la demande formulée au Président du groupe parlementaire auquel j’appartiens à l’Assemblée nationale, remettant en question les fonctions que j’occupe au sein de groupes d’études parlementaires, au motif que mon opinion exprimée sur la psychanalyse stigmatiserait « des citoyens, professionnels du soin, enseignants, chercheurs, tous acteurs engagés de la vie sociale ».
J’ai toujours, tout au long de ma vie et de surcroît depuis mon élection à l’Assemblée nationale, eu le plus grand respect pour tous les professionnels de santé qui chaque jour, sur tout le territoire, rendent le plus beau des services : celui de soigner.
Psychiatre de profession, je suis fermement engagée pour la déstigmatisation des troubles psychiques, le respect du libre choix des patients et de leurs droits fondamentaux ; les deux missions parlementaires que j’ai menées en 2019 ont plaidé en ce sens.
Comme médecin mais comme Députée avant tout, ma responsabilité est d’assurer que le code de la santé publique et les recommandations de la Haute Autorité de Santé – aussi perfectibles qu’elles soient – s’appliquent de la même manière partout sur le territoire national. J’ai acquis l’intime conviction que les inégalités territoriales de prise en charge en santé mentale représentent, pour nos concitoyennes et concitoyens une véritable perte de chance que sous aucun prétexte je ne pourrais tolérer.
L’école de pensée psychanalytique, comme tous les courants de pensée, ne saurait être exempte de questionnements visant à améliorer la prise en charge des patients. Je reprends à mon compte la phrase tirée de la pétition que j’ai signée à ce sujet : « le refus de nombre de psychanalystes de poser un diagnostic, l’ignorance volontaire des symptômes, la chosification et la maltraitance des patients et leur famille au nom de dogmes psychosexuels freudo-lacaniens obsolètes sont monnaie courante aujourd’hui. Le traitement de ces personnes comme des patients de ‘seconde zone’ n’est plus tolérable en France. »
Ma méthode a toujours été, et sera toujours celle du dialogue. Durant mes deux missions parlementaires, de janvier à septembre 2019, j’ai reçu tous les syndicats, personnels soignants, de toutes les écoles de pensées de la santé mentale. Sous aucun prétexte je ne cèderai aux multiples pressions venues de toutes parts que je subis depuis la publication de mes rapports, symptômes de la difficulté de ces champs de la médecine à entrer dans le XXIème siècle. Les délais de prise en charge avoisinant plusieurs mois ne sont pas acceptables et l’activité uniquement programmée ne peut garantir une réponse aux besoins des patients. Évaluer les pratiques des spécialistes, quel que soit le champ de la médecine, et donc les psychiatres et autres psychanalystes est une impérieuse nécessité pour une meilleure qualité des soins.
A l’occasion du processus législatif qui s’ouvrira en janvier, ma porte sera toujours ouverte à celles et ceux qui sont prêts au dialogue, loin des dogmatismes et luttes stériles.
Martine WONNER
> Députée du Bas-Rhin
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> L'USP répond à Madame Wonner qui demande l'interdiction de la psychanalyse
06.01.2020
Madame la Députée,
Je réponds à votre courrier daté du 13 décembre qui était adressé au secrétariat de notre syndicat avec pour objet « Psychanalyse et santé mentale : pour le respect de la santé publique et l’accès aux soins pour tous ! ». Vous y répondiez au courrier - que vous ne citez pas - qui fut adressé au président de votre groupe parlementaire par un groupe de onze personnes [1], dont moi-même.
Ce groupe s’est constitué à la suite du succès de la pétition : http://chng.it/VsrmkfJjjX qui a rassemblé plus de 32 000 signataires. Nous avons écrit au président de votre groupe parlementaire : « (...)notre étonnement quant à l’engagement d’une députée LREM en faveur d’un groupe de pression réclamant que soient exclus des tribunaux, des hôpitaux et des universités la totalité des psychiatres et des psychologues se référant à la psychanalyse. [2] »
Nous avons, bien sûr, communiqué votre courrier aux autres rédacteurs de cette lettre, aux universitaires du SIUEERPP et à nos amis du Collectif des 39 en particulier. Une réponse collective ne va pas manquer d’être écrite et publiée bientôt.
Dans la pétition que vous vous flattez d’avoir signée en tant que députée, il est [https://www.justicesanspsychanalyse.com)/]écrit : « Le refus de nombre de psychanalystes de poser un diagnostic, l’ignorance volontaire des symptômes, la chosification et la maltraitance des patients et leur famille au nom de dogmes psychosexuels freudo-lacaniens obsolètes sont monnaie courante aujourd’hui. Le traitement de ces personnes comme des patients de "seconde zone" n’est plus tolérable en France. ».
En tant que députée, ayant un diplôme de psychiatre, vous accusez ainsi « nombre de psychanalystes » d’être maltraitants, vous emboîtez le pas de Sophie Robert, cinéaste, qui mène une campagne au long cours pour interdire la psychanalyse, dans les tribunaux, dans les universités, dans les lieux de soin ; bref, partout. Vous l’approuvez, vous signez son appel. Puisque vous vous prononcez pour une véritable interdiction professionnelle, au-delà des obscurs co-signataires de la pétition de madame Robert, il est urgent pour nous de vous dire qu’au nom de « l’évaluation », vous êtes l’ennemie des valeurs que nous défendons, psychanalystes ou pas.
Par ailleurs, pourrions-nous savoir, chère consœur, quelles expériences de votre ancien métier de psychiatre vous ont amenée à une telle prise de position ? Au-delà du parti pris idéologique des forcené.e.s de l’évaluation qui agissent dans les télécommunications comme dans la santé, il est possible que vous ayez des arguments à nous apporter.
Vous dites ensuite dans votre courrier que vous avez reçu « tous les syndicats, personnels soignants, de toutes les écoles de pensées de la santé mentale ». L’USP a été en effet reçue, avec les autres syndicats de psychiatres, mais c’était par une commission parlementaire à laquelle participait notamment Caroline Fiat et non par vous seule. Nous avons été reçus par cette commission parlementaire et à la lecture de votre travail nous avons su que nous n’avions pas été entendus.
A ce propos, nous avons publié deux communiqués :
> Un le 19 septembre [3] « (...)Ce rapport cite Bonnafé et salue le Printemps de la psychiatrie. Fort bien, mais le Printemps de la psychiatrie désigne ses adversaires : les capitalistes de l’hospitalisation privée, ceux de l’industrie pharmaceutique, les idéologues de la fondation FondaMental, et leurs amis, alliés, et mercenaires. C’est pour cela que nous sommes présents dans ce mouvement aux côtés de beaucoup d’autres. Et nous ne ferons pas de consensus avec ces adversaires : mille conférences et rapports n’y changeraient rien.
> (...)Dans le résumé de ce rapport, nous lisons : « la psychiatrie de secteur a pu freiner le développement d’une expertise plus spécialisée indispensable pour certains patients ». La formule vient annuler l’hommage classique à Bonnafé : la sectorisation aurait empêché le développement d’une pensée acérée. Mensonge et manipulation.(...) »
> Le 30 septembre nous diffusions un second communiqué [4] : « (…) L’USP ne peut cautionner l’imposture qui consiste à mettre en exergue des déclarations parlementaires les « droits des patients » alors que ceux-ci sont régulièrement bafoués par les restrictions d’accès aux soins de proximité, les obligations de soins « à durée indéterminée » et les « mesures exceptionnelles » qui deviennent la règle, par facilité et surtout par manque de moyens humains et de formations adaptées pour les soignants (Hospitalisations sur le mode du péril imminent, mesures d’isolement, de contention etc.(...) »
Écouter et ne pas tenir compte de ce que dit l’interlocuteur ou l’interlocutrice est une façon de faire qui est commune aux ministres du gouvernement, imitant le président Macron que vous soutenez. De nos rencontres, nous avons retenu que vous partagiez cette « méthode ». Vous dites que « votre porte reste ouverte à ceux qui sont ouverts au dialogue » ; sachez que nous rencontrerons très volontiers des parlementaires avec lesquels un échange fructueux serait possible, ainsi que nous l’avons déjà fait dans le passé. Nous ne sollicitons donc pas d’entrevue auprès de vous. De même, la Coordination inter urgences ne sollicite plus d’entrevue auprès de madame Buzyn et demande à rencontrer le Premier ministre.
Au-delà de toutes les critiques ci-dessus que nous avons opposées à ce rapport parlementaire auquel vous avez contribué, nous notons qu’il n’y a pas dans celui-ci d’attaque contre les psychanalystes telle que celle que vous vous félicitez d’avoir contre-signée. Nous constatons ainsi votre démarche en deux temps : dans un rapport parlementaire se référer à Bonnafé et au pluralisme des références théoriques et pratiques, puis quelques semaines plus tard demander l’interdiction de la psychanalyse dans une pétition. Est-ce vraiment une manœuvre habile ?
Cordialement,
Pour l’USP,
> Pascal Boissel
P.-S.
Notes
[1] https://www.uspsy.fr/Madame-Wonner-deputee-de-LREM-et.html
[2] https://www.justicesanspsychanalyse.com)
[3] https://www.uspsy.fr/Qui-est-responsable-de-la.html
[4] https://www.uspsy.fr/Selon-les-parlementaires-la.html
Union Syndicale de la Psychiatrie
52 rue Gallieni, 92240 Malakoff
Tél/Fax: 01 46 57 85 85
Par Roland Gori, à lire dans Libération
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