Prise de position du syndicat de la magistrature

Observations sur le projet de loi relatif au droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

(Ce texte émanant du Syndicat de la Magistrature est aussi consultable sur leur site).

 

Pour le Syndicat de la magistrature, le « projet de loi relatif aux droits et à la
protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux
modalités de leur prise en charge », contrairement à son titre, ne semble pas
avoir été inspiré par une réelle volonté d’accroître les droits des patients.
Tout au contraire, dans sa version initiale, il assouplissait les conditions
posées pour l’hospitalisation contrainte et rendait plus difficile sa main-levée.
Comment ne pas faire alors le lien entre l’inspiration de ce texte et le discours
prononcé à Antony le 2 décembre 2008 par Nicolas Sarkozy, discours qui
annonçait «la sécurisation des établissements et la réforme de
l’hospitalisation d’office » et qui refusait -ainsi qu'on l'a souvent entendu
depuis et encore récemment- que les « drames » puissent être « imputés à la
seule fatalité »?
Cette réforme s'inspire également du rapport remis en mai 2005 par
l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale des services
judiciaires et initié dans un contexte caractérisé par une progression
exponentielle du nombre des hospitalisations sous contrainte et le recours
toujours plus important aux procédures d'urgence. La mission d'inspection
notait ainsi que le nombre des ces hospitalisations sans consentement avait
presque doublé depuis 1990 alors que, dans le même temps, la réponse
sanitaire mal adaptée, freinait l'accès aux soins. Enfin, les inspections
critiquaient déjà il y a six ans le peu d'effectivité des garanties reconnues aux
personnes souffrant de troubles mentaux et l'insuffisance de l'information
délivrée aux malades.

Ce texte instaure, au delà de l'hospitalisation, des soins à domicile sans
consentement qui posent de graves questions de principe sans leur apporter
de réponses suffisantes.
Grâce à la décision du Conseil Constitutionnel en date du 26 novembre 2010
et à sa motivation soulignant les garanties actuelles découlant de l’exigence
de deux certificats, le gouvernement a heureusement renoncé à alléger les
conditions de l’hospitalisation forcée, qui peuvent déjà sembler assez
formelles aujourd’hui : près de la moitié des hospitalisations sur demande d’un
tiers se faisant en urgence, un seul certificat médical est alors fourni.
Par ailleurs, le contrôle désormais systématique des hospitalisations par le
juge des libertés et de la détention, tel qu'il découle de la décision du Conseil
Constitutionnel, nous semble pleinement correspondre à la mission de
garantie des libertés individuelles que le juge doit exercer conformément à la
Constitution : reste à savoir si celle-ci pourra être correctement remplie.


I - Une logique restrictive des libertés individuelles
Une « garde à vue psychiatrique »
L’article L3211-2-2 prévoit qu’une personne admise en soins psychiatriques
sous la contrainte « fait l’objet d’une période d’observation et de soins initiale
sous la forme d'une hospitalisation complète. Dans les 24 heures suivant
l'admission, un psychiatre de l'établissement d'accueil établit un certificat
médical (…) confirmant ou non la nécessité de maintenir les soins au regard
des conditions d'admission (...) .» Ce praticien est différent du rédacteur du
ou des certificats nécessaires pour l’admission du patient.
Certes, les hospitalisations contraintes sont parfois nécessaires pour des
personnes en période de crise et qui ne sont plus en mesure d’accepter ou de
demander des soins. Il est certain cependant que cette disposition sera
comprise comme ouvrant la possibilité de maintenir un patient hospitalisé
pendant soixante-douze heures sans devoir s’interroger auparavant sur le
bien-fondé de cette contrainte.
Il est dangereux de maintenir une sorte de « garde à vue psychiatrique », à
laquelle on consentira d'autant plus facilement qu'elle apparaît comme une
mesure brève, à même de dépasser le pic de la crise, alors que l'on réforme
le régime de la garde à vue judiciaire dont on prétend limiter le nombre et la
durée. La tentation sera évidemment forte de recourir à une hospitalisation
sous contrainte, dont on sait qu'elle est souvent sollicitée par les services de
police ou le parquet pour faire face à des troubles causés notamment par des
individus sous l'empire de l'alcool ou de stupéfiants. Si la personne ainsi
contrainte doit être « informée de ce projet de décision et mis(e) à même de
faire valoir ses observations par tout moyen et de manière appropriée à son
état » et ce « dès l'admission ou aussitôt que son état le permet » , on peut
évidemment craindre que dans cette phase de crise, elle ne soit pas en
mesure de donner utilement son « avis ».
Le motif avoué de cette disposition est d'organiser une période d'observation
permettant une orientation adaptée à l'état du patient mais le risque est en
fait que ces 72 heures soient utilisées comme un temps de contention
chimique des malades sans que soit commencée une vraie prise en charge
thérapeutique. Pourraient être alors observées, sur le plan médical, des
dérives similaires à celles qui ont été reprochées à la garde à vue judiciaire.
Un renforcement des pouvoirs du préfet
Non seulement les sorties d’essai sont désormais supprimées mais il faudra
l’accord explicite du préfet pour toute sortie accompagnée, au lieu de
l’absence d’opposition. Cette procédure particulièrement lourde ne pourra
que décourager l'organisation de telles sorties.
Le préfet interviendra aussi pour la modification du protocole de soins
proposée par le psychiatre et pourra s’opposer au passage d’une
hospitalisation contrainte à un autre mode de prise en charge malgré l’avis du
psychiatre.
Il sera très difficile pour la personne concernée d’exercer un recours devant le
tribunal administratif contre cette décision du préfet contre l’avis du
soignant, et il nous paraîtrait logique de prévoir l’intervention du juge
judiciaire dans cette situation.
Un casier judiciaire psychiatrique ?
Le texte de l'article L3213-8 alourdit le régime de main-levée des
hospitalisations contraintes tant pour les personnes ayant été placées en
unité pour malades difficiles (UMD) que pour celles ayant fait l’objet d’une
déclaration d’irresponsabilité pénale : il sera désormais nécessaire d'obtenir
l’avis du collège de soignants mentionné à l'article L3211-9 (et composé de
deux psychiatres et d'un cadre de santé) ainsi que deux expertises
concordantes ordonnées, selon les hypothèses, par le juge des libertés et de
la détention ou par le préfet.
La mise en oeuvre de cette disposition nécessitera la création d'un nouveau
fichier pour une catégorie de malades a priori étiquetés dangereux et ce,
sans limitation de durée. On sait pourtant que de telle déclarations
d'irresponsabilité pénale peuvent ne concerner que des faits peu graves (par
exemple des dégradations commises en période de crise) et que
l’hospitalisation en unité de malades difficiles peut remonter à des années.
Le texte crée une rupture intolérable d’égalité entre les malades devant la loi,
et fait malheureusement peu de cas de la capacité des professionnels à
évaluer les situations et à s'entourer de plusieurs avis si nécessaire.
Les soins contraints à domicile
La loi pose le principe d’une autre forme de soins sans consentement
« incluant des soins ambulatoires, pouvant comporter des soins à domicile »,
dans le cadre d’un protocole de soins, tout en renvoyant à un décret en
Conseil d’Etat la définition du contenu de ce protocole.
Ce silence de la loi est inacceptable au regard des questions de principe que
pose la notion de soins contraints à domicile : comment articuler ce protocole
avec le respect de la vie privée, quelle est la situation des tiers vivant au
même domicile, quelles sont les conditions de l’intrusion forcée dans ce
domicile, du concours de la force publique ? Il est impossible de renvoyer au
pouvoir réglementaire de telles questions.
Il est certes compréhensible que certaines associations de familles de
malades, en situation de détresse et trop peu informées de la situation de
leur proche se soient déclarées favorables à cette réforme : l’idée que l'on
puisse imposer au patient de prendre son traitement à domicile peut être
rassurante. Par ailleurs, il semble évidemment préférable d’être soigné chez
soi plutôt que d’être hospitalisé.
En réalité, comme nous l’avons constaté à de nombreuses reprises dans
l’institution judiciaire dès lors qu'une mesure était présentée comme une
alternative à la détention, cette modalité de soins risque de se substituer à
des mesures jusqu'ici consenties au lieu de se substituer aux mesures
d’hospitalisations. Dans l’état actuel d’engorgement des services de secteur,
risque fort de se produire un glissement qui conduira, en raison de la prise en
charge prioritaire des mesures de soins sans consentement, à recourir à ces
nouvelles mesures pour avoir la certitude d’un suivi.
De l’avis des professionnels, il arrive ainsi déjà aujourd’hui que l’hospitalisation
sur demande d’un tiers soit la seule manière d’obtenir une place dans un
établissement hospitalier.
Compte tenu de l’absence totale de définition législative du cadre dans lequel
des soignants pourront intervenir de force au domicile d’une personne, il peut
s’agir d’une première étape qui permettra d’envisager ensuite l’institution de
« bracelets électroniques » , ainsi que l’idée en avait été émise dans des
travaux préparatoires au projet de loi…


II - L’intervention du juge judiciaire : une réelle garantie ou un
alibi ?
Le 26 novembre 2010, le Conseil Constitutionnel, saisi d'une question
prioritaire de constitutionnalité sur plusieurs articles du code de la santé
publique relatifs à l'hospitalisation psychiatrique à la demande d'un tiers, a été
amené à préciser pour la première fois l'interprétation qu'il convenait de
retenir des exigences constitutionnelles en matière de soins sans
consentement. Il a en effet estimé qu'en « prévoyant que l'hospitalisation
sans consentement peut être maintenue au-delà de quinze jours sans
intervention d'une juridiction de l'ordre judiciaire, les dispositions de l'article
L337 du code de la santé publique méconnaissent les exigences de l'article
66 de la Constitution ». Il a fixé au 1er août 2011 la date d'abrogation de ces
dispositions.
Le juge des libertés et de la détention voit en conséquence son rôle actuel
étendu puisqu’il ne statuera plus seulement sur recours des intéressés
(actuellement assez rares) mais pour contrôler toutes les hospitalisations
contraintes de plus de quinze jours, puis à nouveau à l'expiration d'un délai de
six mois. Ces nouvelles dispositions concernent aussi bien les hospitalisations
sur demande d’un tiers que les hospitalisations d’office.
Même si le Conseil Constitutionnel a considéré qu’aucune norme supérieure
n’imposait l’intervention du juge judiciaire dès la décision initiale, la question
peut légitimement être posée d'une intervention a priori ou tout au moins dès
la décision initiale. En effet, d’autres pays européens, parmi ceux qui se sont
dotés d'une législation de l'hospitalisation sous contrainte, confient cette
compétence dès l'origine à l’autorité judiciaire.
Cette nouvelle mission confiée au juge des libertés et de la détention déjà
chargé du contentieux de la détention et de la rétention des étrangers rend
plus que jamais indispensable l’attribution d’un statut de ce poste, ce que le
Syndicat de la magistrature ne cesse de réclamer.
Actuellement, ces magistrats, contrairement par exemple aux juges
d'instruction ou aux juges des enfants qui sont nommés par décret, se voient
confier ces fonctions par leur hiérarchie sans avoir la garantie de suivre les
dossiers dans lesquels ils statuent. Or le rôle de plus en plus central du juge
des libertés et de la détention dans le système judiciaire de ce pays conduit
à reconsidérer sa position. Elle implique en effet de tenir des permanences et
nécessite une formation spécialisée.
Evidemment, la réforme envisagée impose en outre la création de postes
suffisants, évalués à 77 ou 80 ETPT de magistrats et à environ 70
fonctionnaires par l'étude d'impact, à une époque où le ministère annonce la
suppression de 76 postes de magistrats... En effet, si l’on veut se donner les
moyens d’un contrôle réel, qui ne soit pas exercé à la va-vite entre deux
déferrements, les magistrats et fonctionnaires doivent pouvoir pleinement
investir ce nouveau contentieux et se former à cette matière complexe
souvent méconnue dans les juridictions.
De la même façon, il est indispensable de prévoir la possibilité de désigner un
avocat en urgence, comme en matière de contentieux des étrangers, pour
que le patient qui le souhaite ait un accès effectif à la défense et puisse
exercer ses droits. De même, le montant prévisionnel de l'aide juridictionnelle
indispensable se situe dans une fourchette allant de 3,7 à 6,8 millions
d'euros.
Il est également envisagé de recourir à la visio-conférence pour les auditions,
ce qui permettrait, du point de vue des auteurs de l’étude, des économies
substantielles en terme notamment d'accompagnement et de transfert des
malades dans les tribunaux. Il est essentiel de rappeler qu'il ne s’agit que
d’une faculté pour le juge, faculté contre laquelle le Syndicat de la
magistrature s'est toujours déclaré totalement opposé. Le recours à ce
dispositif, qui ne permet pas un véritable dialogue entre le juge et le patient
par définition en situation de détresse, compliquera l’audition par le
magistrat . Il annihile en outre la force symbolique du lieu de l'audience pour
un public auquel on prétend garantir un accès au juge judiciaire, gardien des
libertés individuelles. Il pose enfin comme toujours la question de la place de
l’avocat, dont on ne sait s'il devra se trouver auprès de son client ou du
magistrat.
Par ailleurs, l’idée émise par l’étude d’impact faire appel à un membre de
l’établissement hospitalier comme greffier nous paraît par ailleurs totalement
incongrue. Elle sous-entend que le rôle du greffier peut être tenu par une
personne non formée à cette tâche et dont ce n'est pas le métier et nie la
spécificité de la place de ce fonctionnaire dans une audience judiciaire.
Enfin, l’intervention désormais systématique du juge des libertés et de la
détention nécessite la possibilité de faire appel à des experts dans des
conditions et des délais satisfaisants. A l’heure actuelle, l’application du
décret du 20 mai 2010 fixant des délais impératifs pour statuer sur les
requêtes par le juge pose déjà des problèmes importants dans plusieurs
juridictions. Il est donc essentiel de résoudre les problèmes administratifs et
financiers qui entravent à l’heure actuelle le recrutement et le maintien sur
nos listes des experts judiciaires.
Dans le projet, l’intervention du juge judiciaire se limite comme aujourd’hui au
bien-fondé de l’hospitalisation et ne permet pas au patient de contester le
traitement qui lui est administré. Elle n’est pas prévue non plus dans le
protocole qui définit les modalités du soin contraint à domicile et pour
intervenir dans les désaccords pouvant survenir entre le psychiatre et le
préfet au sujet de la modification du protocole de soins.
Le Syndicat de la magistrature considère qu'un débat devrait se tenir sur
l’instauration d’un bloc de compétences confiant au juge judiciaire l’intégralité
du contentieux concernant le soin contraint, tant dans son principe que dans
ses modalités. En effet, le patient placé sous contrainte reste aujourd’hui
confronté à une dualité de compétences rendant les recours quasiimpossibles
en pratique.
Il est enfin tout à fait choquant que la loi prévoie la possibilité pour le
directeur de l’établissement ou le préfet de demander au procureur de la
république de saisir dans les six heures le premier président de la cour
d’appel afin de voir suspendre la décision de main-levée d’hospitalisation prise
par le juge. Il s’agit là d’un véritable « référe-hospitalisation » tendant à
confirmer l’idée que l’hospitalisation doit rester la règle.
Cette disposition signe encore la préoccupation, plus sécuritaire que
soucieuse des droits du malade, qui inspire ce texte. Elle rend de plus en plus
difficile pour les professionnels la levée des mesures d’hospitalisation
contraintes, chacun pouvant craindre de voir un jour engager sa
responsabilité en cas d’incident. La détermination actuelle du chef de l'état à
rechercher des responsables et à annoncer des sanctions valide
malheureusement ces craintes...

Il est essentiel pourtant de rappeler que les personnes faisant l’objet de soins
sous contrainte sont d’abord des malades et qu’une grande majorité d’entre
eux ne pose aucun acte de délinquance : il est donc pour le moins choquant
que leur situation soit régie par un texte civil qui est non seulement une loi
d’exception mais est fortement empreint de dispositions pénales.
Le Syndicat de la magistrature est quant à lui résolu à s’engager pour que
cette nouvelle mission confiée aux magistrats ne devienne pas une formalité
alibi expédiée derrière un écran de télévision et pour qu'elle ouvre aux
patients un espace d’exercice effectif de leurs droits.

Par Roland Gori, à lire dans Libération