Quelle sera votre politique de prévention pour la petite enfance ?

Le collectif « Pasde0deconduite » appelle «les candidat-es à s’engager pour une politique digne des enjeux de la petite enfance qui intègre les conditions et les qualités d’une prévention prévenante, à savoir : globale, pluridisciplinaire, multidimensionnelle et cadrée par une éthique et une vision humaniste et interactive de l’enfance».

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Le collectif « Pasde0deconduite » s’est constitué en 2006 en réponse à la proposition de dépister chez les enfants de 3 ans des troubles censés désigner les futurs délinquants, mesure alors reprise par le gouvernement dans son projet de loi de prévention de la délinquance, en l’associant à celui d’un carnet de comportement. Les 200 000 signataires de l’appel s'élevant contre cette assimilation de la turbulence chez de jeunes enfants aux prémisses de la délinquance ont contraint le gouvernement à reculer et à retirer ces dispositions de la loi de prévention de la délinquance.

Mais depuis, les pouvoirs publics ont à plusieurs reprises confirmé leur ténacité pour installer une prévention prédictive, un contrôle et un formatage précoce des enfants. C’est pourquoi le collectif « Pasde0deconduite » persiste et signe : la prévention en petite enfance est une finalité en soi qui n’a pas à se nicher à l’ombre des politiques de sécurité. Dans le contexte de l’élection présidentielle, nous nous adressons, sous la forme d’une lettre ouverte, aux candidat-es pour qu’ils s’engagent : quelles conditions et orientations préconisent-ils pour une politique de prévention pour la petite enfance, lorsque les jeunes enfants sont confrontés aux difficultés inhérentes à leur développement et à la condition enfantine, auxquelles s’ajoute l’impact des problèmes que rencontrent les familles dans la société actuelle ?

Aujourd’hui les conditions d’accueil et d’accompagnement de la grossesse et de la naissance se détériorent, la qualité des modes d’accueil de la petite enfance est attaquée, les réseaux d’aide psychologique en école (RASED) sont démantelés, les centres médico-psychologiques (CMP) et CMPP de plus en plus délabrés, la santé scolaire laissée en déshérence et le premier degré toujours privé d’assistantes sociales, la protection maternelle et infantile (PMI) est en grande difficulté dans de nombreux départements, les réseaux d’écoute, d’appui et de soutien aux familles (REAAP) sont de plus en plus réquisitionnés pour évaluer et contrôler la parentalité, les médiations artistiques et culturelles qui n’ont plus à prouver leur utilité ne sont plus soutenues, et les subventions au tissu associatif intervenant en petite enfance sont asséchées.
Quelle politique les candidat-es mettront-ils en œuvre pour relancer et développer les moyens, les structures et les services qui contribuent à la prévention psychologique précoce, politique dont la France pouvait s’enorgueillir jusqu’à ces dernières années ?

Les bébés et les jeunes enfants sont soumis à toujours plus de sur-stimulation en vue d’une précocité de performances qui les déstabilise. Ils subissent dès la crèche des attentes de conformité et de formatage comportemental, dès l’école maternelle des injonctions de rapidité et d’efficacité performative dans leurs apprentissages cognitifs au détriment de l’expression créative et des activités d’exploration qui sont aux fondements de la capacité, du désir et du plaisir d’apprendre. Le tout sanctionné par des dépistages et des évaluations de plus en plus précoces où sont confondus, sous l’égide de la médecine, des normes de comportement, des difficultés de langage, etc., à l’aide de grilles standardisées dont la fiabilité scientifique est sujette à caution. Les effets pathogènes de cette précipitation auxquels s’ajoutent les effets anxiogènes de ces évaluations se transmettent en cascade, des enseignants sur les parents et les enfants, des parents sur les enseignants, et viennent parasiter la relation des enfants à leur entourage familial et social. La petite enfance est caractérisée par une porosité et une réactivité très spécifique aux paroles et attentes des adultes, aux comparaisons avec les autres enfants, et à l’environnement social. Se sentir mesuré inquiète les enfants, qui peuvent réagir par de l’agitation ou de l’inhibition ou par une peur de décevoir et une insécurisation face à ceux qui devraient les rassurer.
Quelles mesures les candidat-es prendront-ils auprès des acteurs de la santé, de l’accueil, de l’éducation, du social, pour rétablir des politiques qui préservent le temps de la petite enfance d’une exigence performative incompatible avec cette période spécifique de fondation première de la personnalité, et du lien aux autres et à la collectivité ?

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs ou des élus, au lieu de s’en tenir à la définition de grands cadres d’orientations, ont entendu imposer aux professionnels spécialistes de leur domaine des pratiques, des techniques et des méthodes empiétant sur les champs professionnels et scientifiques. Cela fut le cas hier au sujet du dépistage et de la prévention de troubles du comportement, une autre fois sur les méthodes de lecture à propos des enfants en difficultés d’apprentissage. C’est aujourd’hui le cas par la tentative de disqualifier tout soin pédopsychiatrique et psychothérapeutique, se référant à la psychanalyse, aux côtés du soutien éducatif et des aides sociales dans la prise en charge des enfants atteints d’autisme. A chaque fois, les pouvoirs publics prennent caution d’experts choisis dans quelques-uns des champs de compétence concernés par une question complexe, au détriment d’approches plus larges et diversifiées qui permettent pourtant le dialogue et l’articulation de l’ensemble des disciplines et la mise en lien des chercheurs et des praticiens de terrain. L’effet constaté est un rétrécissement qui prive les enfants de la palette d’aide et de soins qui permettraient des choix avisés et appropriés.
Les candidat-es entendent-ils rompre avec cette forme de « gouvernance » et promouvoir le cadre d’une co-construction féconde de l’ensemble des savoirs scientifiques et pratiques, au service d’une approche intégrative des politiques de prévention et de soins pour la petite enfance ?

De façon réitérée, les pouvoirs publics assimilent abusivement la turbulence bruyante de certains tout-petits aux prémisses de la délinquance et rabattent la prévention sur des outils de dépistage prédictif nocif, dont les effets de prophétie auto-réalisatrice sont bien connus des pédagogues et des psychologues. Ce faisant, ils génèrent une confusion des rôles entre les services d’enseignement, d’aide et de soins, et les prérogatives de la police et de la justice. Cela agit comme un rapt des bébés et du soutien à la parentalité par les politiques de lutte contre la délinquance. Un tel mélange des genres entre soins psychiques, soutien éducatif et relation d’aide d’une part, et prévention de la délinquance d’autre part, conduit à une rupture de confiance des familles envers les institutions de santé, du social, d’accueil et d’éducation. Le risque étant que celles qui en ont le plus besoin s’en détournent, ce d’autant plus que le secret professionnel a été affaibli dans le cadre de la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007.
En cas d’élection comment les candidat-es entendent-ils agir pour favoriser de véritables actions de prévention d’approche « prévenante » auprès des enfants et des familles, reconnaissant la singularité, la variabilité et la liberté du développement de chaque enfant et des processus de parentalité, hors de toutes dérives sécuritaires et prédictives. Et comment entendent-ils garantir aux familles une protection rigoureuse de leur vie privée ? A cet effet abrogeront-ils entre autres, les dispositions de la loi sur la prévention de la délinquance (article 8), qui portent atteinte au secret professionnel dans le domaine de l’accompagnement social et de la santé ?

Le collectif « Pasde0deconduite » appelle donc les candidat-es à l’élection présidentielle à s’engager pour une politique digne des enjeux de la petite enfance qui intègre les conditions et les qualités d’une prévention prévenante, à savoir : globale, pluridisciplinaire, multidimensionnelle et cadrée par une éthique et une vision humaniste et interactive de l’enfance.

Sylviane GIAMPINO, psychologue petite enfance et psychanalyste
Bernard GOLSE, professeur de pédopsychiatrie
Roland GORI, professeur émérite de psychopathologie clinique
Pierre SUESSER, pédiatre en protection maternelle et infantile
sont membres du collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans »

Par Roland Gori, à lire dans Libération