Réaction de la Convergence des Psychologues en Lutte suite à l'interview d'Emmanuel Macron par HugoDécrypte, le 4 septembre 2023

Des propos erronés voire mensongers, une méprise affichée et assumée

 

Nous, psychologues, sommes très nombreux à avoir été choqués, voire scandalisés par les propos qu’un Président de la République peut tenir aujourd’hui sur la santé mentale et sur les psychologues. Ces propos martelés avec certitude lors de l’interview donné par HugoDécrypte, sans contradicteurs, témoignent pourtant d’une réelle méconnaissance d’un secteur important du champ de la santé et d’une parfaite ignorance de la spécificité des missions, du statut et de la fonction des psychologues et de ce pour quoi ils ont été formés. Une telle incompétence au plus haut sommet de l’État ne peut que nous inquiéter et nous parait aujourd’hui, dans le contexte actuel, dangereux pour la santé mentale de nos concitoyens.

Non, M. le Président, la prise en compte de la santé mentale ne se réduit pas à une question de « diagnostic », terme que vous ne cessez de scander. Vos conseillers vous conseillent mal.

Votre Ministère de la Santé a réduit le travail de soin à l’« évaluation » et à l’« orientation », là où des équipes, qui savaient très bien « diagnostiquer », étaient compétentes pour « soigner ».

 

Non, M. le Président, si à l’Université on ne trouve qu’un psychologue pour 15000 étudiants, ce n’est pas dû à la pénurie de psychiatres. Chaque fois que vous êtes interrogé sur les psychologues vous répondez en parlant des psychiatres.

Les psychologues sont là. Il n’y a aucune nécessité d’attendre 10 ans pour créer massivement des postes de psychologues à l’Université, comme dans l’Éducation Nationale, et comme dans l’ensemble des services publics de santé. Il suffit de le décider.

 

Non, M. le Président, les dispositifs que votre Ministère de la Santé a mis en place ne sont pas efficaces. Les lieux de prise en charge de la souffrance psychique, gratuits pour la population, existent. Ils s’appellent le « service public ». Vous l’avez démantelé et avez ubérisé le travail de soin psychique.

Les sommes engagées dans MonparcoursPsy (devenu MonsoutienPsy) auraient permis de créer 4000 postes de psychologues dans le service public actuellement exsangue.

Vous vous félicitez d’avoir donné des milliards à l’hôpital – en réalité 19 milliards sur 10 ans pour l’hôpital et la ville, le sanitaire et le médico-social, le privé et le public, ce qui représente 1,9 milliard supplémentaire par an pour tout ce petit monde dont le budget global sur 10 ans est de 2000 milliards. Ce petit monde qui s’écroule ensemble progressivement. Et évidemment quasiment aucune création de postes de psychologues, qui pourtant ne manquent pas, dans les services publics ou le médico-social, pour assurer le rôle de prévention qui vous est cher.

Ne pas soutenir les services publics et laisser notre pays perdre son système de santé de qualité est irresponsable, M. le Président.

 

Non, M. le Président, ce n’est pas exclusivement de prise en charge « médicale » dont ont besoin nos concitoyens qui sont en situation de souffrance psychique. Ils ont aussi besoin des psychologues.

Et non M. le Président, les psychologues ne sont pas des « paramédicaux ». La psychologie est une science « humaine ». La santé mentale n’est pas qu’une affaire de médecine, elle est aussi une affaire d’humanité. Et les psychologues ont toute leur place dans la réponse à donner à la souffrance psychique.

Même l’OMS ne s’y trompe pas. La définition qu’elle donne de la santé mentale, et que vos conseillers semblent ignorer, est une définition démédicalisée, dépsychiatrisée.

 

Non, M. le Président, les psychologues ne sont pas moins bien formés que les psychiatres, notamment en matière de psychopathologie, pour ceux d’entre eux qui travaillent dans le champ de la souffrance psychique. Non seulement certains sont détenteurs d’un doctorat universitaire – diplôme qui donne un grade supérieur à celui que donne un diplôme d’État de docteur –, mais les psychologues se soumettent par obligation à une formation continue tout au long de leur carrière.

Et les psychologues ne vous ont pas attendu pour travailler, depuis qu’ils existent, en étroite collaboration avec leurs collègues psychiatres comme avec tous les autres praticiens, médecins ou paramédicaux. Non M. le Président, personne ne vous doit d’avoir créé le moindre lien entre psychologues et psychiatres.

 

Qu’est-ce qui justifie, M. le Président, autant de discrédit et de dévalorisation de votre part à l’égard des psychologues ? Où est le dialogue auquel vous faites croire ? Nous avez-vous rencontrés ?

Tout comme le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale à coup de 49.3, ce qui n’est jamais arrivé depuis que le Parlement examine ces projets de loi (c’est-à-dire depuis 1996), vous voulez faire croire que vous réfléchissez avec les professionnels aux mesures à prendre en terme de santé mentale pour nos concitoyens.

 

M. le Président, sachez que les psychologues continueront de boycotter vos dispositifs inadaptés et inefficaces. Écoutez nos propositions, M. le Président, au lieu de rester sourd à la parole des psychologues.

Vous êtes vraiment soucieux de l’état mental de vos administrés et intéressé à comprendre les logiques de leur souffrance psychique ? Nous sommes à votre disposition, M. le Président.

 

Par Roland Gori, à lire dans Libération