Roland Gori - Sur le remboursement des psychologues

 

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Lorsqu’en 2003, je fus missionné par mon président d’université (Jean Marc Fabre) enréponse à une demande de la Faculté de Médecine de Marseille (le Doyen Berland), elle-même répondant à une mission du ministre Jean-François Mattéi de pourvoir à la futurepénurie de psychiatres et de pédopsychiatres, le deal était déjà clairement posé en des termesque ne répudierait pas le gouvernement actuel. Étant donné les projections d’une baisse de40% des psychiatres entre 2003 et 2012, leur départ à la retraite n’étant pas entièrementcompensé par l’arrivée des jeunes générations dans une spécialité malaimée, étant donnél’importance du chômage des jeunes diplômés en psychologie clinique, étant donnél’absence de statut de psychologue et leur non-inscription dans le Code de la Santé, étantdonné l’accroissement des demandes de prises en charge (amplifiée aujourd’huipar la crisedu Covid et des confinements successifs), l’accélération des flux des files d’attente des CMPet autres établissements, la pénurie de postes de psychologues dans les établissements publicset les départs à la retraite non remplacés pour cause de rationnements budgétaires, il étaitenvisagé:-D’accorder aux psychologues l’autorisation de mener des traitements (y comprischimiothérapiques selon certains PU-PH de psychiatrie) sur prescription et sous contrôlemédical. -De les intégrer dans le Code de la Santé -De rembourser ces actes selon une nouvelle nomenclature, expériences déjà en coursdans certaines Régions aujourd’hui (dont la Région PACA).-Ces nouvelles dispositions supposaient un complément de formation obligatoire conditionnantl’agrément avec créations de nouvelles Écoles appelées à remplir ces missions au premierrang desquelles une École Marseillaise que le Ministre appelait de ses vœux.Le rapport détaillé que j’ai fourni à cette occasion se trouve sur le net... Il refusel’intégration dans le Code de la Santé dont ne veulent pas les associations de psychologuesconsultées, refuse la subordination médicale à des médecins généralistes ou psychiatres beaucoup moins informés qu’eux en matière de psychothérapies, envisage la créationd’Écoles de praticiens du soin psychique post-master conduisant à un doctorat délivré parune formation multi-professionnelle appuyée sur les équipes d’accueil des doctorants.L’intransigeance des Professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) depsychiatrie et l’arrivée dans l’espace médiatique de l’amendement Accoyer donnèrent uncoup d’arrêt à l’initiative. Aujourd’hui, cette initiative ressort des placards des Ministères avec une situation pluscritique:
 
-La psychiatrie et la pédopsychiatrie sont dans un total état de délabrement quemasque mal la com’ et la rhétorique de propagande sur les neurosciences. Quasimentplus aucun PU-PH n’a eu une formation psychanalytique, voire psychopathologique,les épreuves de titres qui permettent leurs habilitations s’établissent sur la base derevues de neurochimie, neurosciences, neurogénétique et épidémiologie pour les plus«pointus», psychiatrie DSM et TCC pour les plus «démunis» d’entrées dans lesréseaux dominants.
 
-Les campagnes d’intoxication visant à discréditer la psychanalyse dans l’opinion et les lobbyings antipsychanalyse auprès des parlementaires et des ministères ont abouti àce paradoxe: empêcher ou interdire la référence psychanalytique au moment où lespratiques psy s’en réclamant se «popularisaient» en mélangeant toujours davantagel’«or pur» et le «vil cuivre» (et non le «plomb» comme le veut la légende). Lapromotion idéologique des TCC, neurocoaching, et autres ABAtardises, sous couvertd’un vernis idéologique de «sciences» éprouvées, tend à aligner la France sur lespolitiques québécoises au moment même où elles s’avèrent en échec Outre-Atlantique.
 
-La politique d’externalisation des services publics et leur hybridation avec le privéconduit à «basculer» les demandes de prise en charge vers le libéral au premier rangdesquels les psychologues.
 
-Dès lors, c’est la situation sociale qui s’est profondément modifiée,les patients appartenant auxclasses sociales défavorisées ou moins favorisées ne sont plus pris en charge par lesétablissements publics. Les files d’attente sont trop longues et dans la mesure dupossible ces nouvelles demandes sont «basculées» vers le libéral. Les psychiatres sontsaturés et de moins en moins formés à l’écoute. Faute de temps, de compétence et demotivation ils prescrivent des psychotropes et orientent vers des techniciens ducomportement. Nombreux sont ces patients qui reviennent vers nous ou sont«camisolés» des années durant par des psychotropes (souvent renouvelés par leursgénéralistes sans aucune actualisation du psychiatre).
 
 
Face à cette situation les gouvernements sont dans l’impérieuse nécessité de «privatiser» lesprises en charge et d’en étendre la compétence à d’autres professionnels dits de santé. D’oùl’ensemble des réformes actuelles et la proposition du projet de loi de para-médicaliser laprofession de psychologue en la dotant de la même rationalité formelle que les autresprofessions de santé. Alors que faire?Je crois qu’il faut impérativement refuser la subordination médicale, l’entrée dans le Code dela santé et autres normalisations sanitaires qui favoriseraient une médicalisation del’existence et une «société de contrôle» biopolitique des populations par de nouveaux«sous-officiers de la santé mentale». Une société ne rembourse pas que les soins, mais biend’autres actions sociales, éducatives et culturelles. Ne pas se laisser enfermer dans ledilemme: «Si vous voulez que vos actes soient remboursés, il faut vous para-médicaliser.»Et le Pass Culture, il est remboursé par la CPAM? La CAM pourrait nous soutenir pouréviter de voir ses dépenses exploser.Faut-il demander un remboursement de nos actes pour autant? Je pense que oui pour deuxraisons. La première est structurale: dès lors que l’or pur de l’analyse se mélange au vil cuivre et quenombre de patients ne sont pas en mesure de prendre en charge leurs psychothérapies, ilfaut les y aider. Ou alors, à devoir être rigoristes, il faudrait supprimer les feuilles de soins despsychiatres psychanalystes qui ont rendu bien des services à des patients en difficulté. La deuxième est opportuniste: je ne me sens absolument pas le droit de refuser cetteopportunité à de jeunes collègues psychologues qui ont un impérieux besoin de cettepossibilité pour vivre de leurs pratiques libérales. Mais pas au prix d’une aberrantediscrimination éthique et politique de devoir se soumettre à des praticiens moins formésqu’eux, voire pas du tout, dans le domaine des soins psychiques, et sous condition de setransformer en technicien de l’orthopédie comportementale des sociétés de contrôle. Il fautexiger un remboursement de nos actes qui répondent à «une fonction sociale de l’écoute»(Jacques Alain Miller) et non à une prescription de santé.

Par Roland Gori, à lire dans Libération