Lettre d'information de l'Appel des appels - Avril 2020

Chers amis et signataires de l’Appel des appels,

 

En ces temps de confinement, nous espérons que vous vous allez bien ainsi que votre entourage.

En attendant de nous retrouver à l’automne pour une grande manifestation, voici un courrier de Roland Gori, Président de l’Appel des appels, suivi d’un certain nombre d’informations.
Portez vous bien.


Fabrice Leroy

Secrétaire général de l’Appel des appels

 

Courrier de Roland Gori

 

Chers tous,

 

Aujourd’hui nous avons la peste, ou plutôt le Covid-19 provoqué par le SARS-CoV-2, - à croire que même les virus se convertissent à l’informatique -, et y perdent la simplicité des mots que l’on garde en mémoire et qui fondent les mythes. Tout le monde connait « la peste ». Qui se souviendra longtemps de cette saloperie de SARS-CoV-2 ? Il faut dire que ce sont les hommes qui nomment leurs malheurs, leurs peines et leurs joies. Et ces hommes, actuellement ont une fâcheuse tendance à « barbariser » la langue en la convertissant au numérique. Ce numérique ne le diabolisons pas trop quand même. C’est grâce à lui aussi que nous vous écrivons, que nous poursuivons une partie de nos activités, et que demain, peut-être il contribuera à nous soigner, à nous dépister et à nous alerter. La langue numérique, comme toute langue, est, comme disait Esope, la pire et la meilleure des choses. Ce sont les hommes qui en décident ainsi, qui en font la meilleure ou la pire des choses. A force de numériser le monde pourrions-nous nous voir condamnés à ne nous mouvoir que dans ses sphères digitales ? Serions-nous condamnés à mourir infectés par cette petite merde monocaténaire de forme elliptique mesurant en moyenne de 60 à 140 Nm ou voués à ne vivre que comme des hikikomori japonais dans nos écrans numériques ?

Mais, les hommes, les humains comme on dit aujourd’hui, sont sur le front de l’épidémie. Ils y pratiquent leurs métiers. Ce ne sont pas des héros, ce sont des hommes de métiers, des hommes « honnêtes », admirables comme il en existe au cours des tragédies de l’histoire humaine. On se souvient de La Peste d’Albert Camus, du Dr Rieux faisant face au mal qui frappe la ville d’Oran et qui répond à la question du « courage », de « l’héroïsme » et de l’« honnêteté » par la simple, la vraie, l’exigeante éthique du métier : « c’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté. […] Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier. »

Aujourd’hui, le gouvernement voudrait faire de tous ces travailleurs des « héros ». Comme le rappelle opportunément Marie José Del Volgo (cf ci-dessous) : « il est dangereux de faire endosser aux soignants le costume du héros ». Et puis, est-ce si « honnête » ? Ces pouvoirs qui, depuis plus d’une décennie, s’efforcent de faire l’éloge de l’éthique entrepreneuriale de l’entreprise, vantent les mérites des « premiers de cordée », déplorent tous ces pauvres, ces « gens de rien » qui « coûtent un pognon de dingue », imposent une logique austéritaire aux hôpitaux, aux systèmes éducatifs et de recherches, aux services d’information et de culture, aux institutions de justice et d’accompagnement social. Si aujourd’hui le pouvoir élève à la dignité de « héros » tous les hommes et toutes les femmes de métiers, c’est bien qu’il a beaucoup à se faire pardonner, beaucoup de choses à nous faire oublier ! Demandez aux RASED (cf la déclaration ci-après), demandez aux chercheurs (cf la lettre de Bruno Canard), aux soignants que les gouvernants appellent aujourd’hui à applaudir comme les « héros » du soin et sur lesquels ils jetaient naguère leurs meutes de robocops. Hier, la France populaire était dans la rue pour préserver un système de retraite par répartition dont on nous annonçait en vociférant d’un doigt menaçant qu’il serait en déséquilibre de 17 milliards d’euros sous peu. Ne parlons même pas des Cassandre qui annonçaient la fin du monde parce que le déficit de la sécurité sociale allait atteindre 4 milliards. Ne parlons même pas du point d’indice des fonctionnaires, du gel et de la CSG des retraités, ni des salaires de misère des « héros » sans lesquels aujourd’hui nous serions plongés dans le dénuement. C’est étonnant, ces « petits » milliards qui ont coûté des mains arrachées, des visages éborgnés, des peurs et des souffrances, du temps perdu, ils pèsent peu au temps des catastrophes. Aujourd’hui, et on doit s’en réjouir, Bruno Lemaire, bien plus intelligent que la moyenne des ministres LREM, « arrache » plus de 500 milliards et promet de doubler la mise pour relancer l’économie française mise à terre, non par des revendications salariales… mais par un petit virus, une saloperie de petit virus qui cause de bien des morts, bien des décès, bien des souffrances, la perte de nos libertés, au premier rang desquelles la possibilité de nous déplacer. Si un petit virus, une petite merde d’ARN mal fagoté, mais anthropophage, parvient à désorganiser la planète, à produire plus d’épouvante que les terroristes, à mettre à terre une économie néolibérale globalisée que les mouvements politiques et sociaux n’étaient pas parvenus à ébranler, quel monde avons-nous construit ? Quel monde avons-nous laissé se construire sans nous ?

Ce petit virus tueur a mis en évidence l’indigence des politiques de santé. Et, aujourd’hui en France le « ressentiment » est lourd et profond. Depuis au moins trois quinquennats les fondés de pouvoir du néolibéralisme, ci-devant présidents de la République, ont contribué à « casser » les services publics en les soumettant aux régimes d’austérité et de privatisation mondialisé. Le mépris de ces administrateurs de l’économie néolibérale pour « leurs » fonctionnaires et leurs services d’Etat a été tel que la France qui était dotée, en 2000, du meilleur service de santé au monde s’est trouvée rétrogradée à un niveau fort « passable » dans les comparaisons européennes. Ce qui explique que nous ayons dix fois plus de morts du Covid-19 que l’Allemagne, par exemple. Nous avons, en partie, externalisé la production de masques, celle des réactifs chimiques des tests de dépistage, fermé les usines de fabrication de bouteilles d’oxygène… et j’en oublie ! Du coup, à la légitime préoccupation sanitaire de limiter la propagation d’un virus très contagieux, le portrait type du tueur de l’humanité prévu de longue date, s’ajoute, voire prévaut, la nécessité de « soigner » les carences produites par les politiques gouvernementales qui, depuis près de quinze ans, taillent dans les effectifs de nos système de santé. L’Allemagne a deux fois plus de lits de réanimation, par exemple, par nombre d’habitants que la France. Près de 100 000 lits hospitaliers ont été fermés en France ces dernières années pour « économiser » sur le budget public ! Résultats des courses, nous sommes confinés, non seulement pour limiter la propagation du virus mais aussi pour « masquer » les défaillances des politiques de santé. Au lieu de nous dépister, les dirigeants nous invitent à fabriquer des masques artisanaux, masques qu’ils nous déconseillaient naguère, faute d’avoir anticipé, prévu de protéger des stocks de matériel médical, des ressources de « guerre ». Ces « stocks » de masques liquidés, abandonnant aux entreprises le soin de s’en charger. Soyons charitables, évitons d’évoquer le cas de cette ministre de la santé qui avait tout prévu mais n’a rien fait. Ou l’irresponsabilité de ceux qui ont abandonné notre indépendance nationale en matière de sécurité sanitaire en délocalisant la fabrication de matériel médical de première nécessité. C’est ainsi que nous sommes devenus dépendants de la Chine pour des approvisionnements essentiels et de la charité allemande pour pallier à nos manques de lits de réanimation. Non sans révéler une pitoyable lâcheté nationale ayant conduit à abandonner l’Italie à son triste sort par ceux-là même qui quelques temps auparavant, les larmes dans la voix ou le courroux en bandoulière, lui donnait des leçons de solidarité européenne !

Nous sommes en proie à l’univers de la peste, à l’empire des souffrances qu’elle provoque, aux malheurs qu’elle engendre, aux paniques qu’elle appelle, aux recompositions sanitaires, géopolitiques et sociales qu’elle exige. La vulnérabilité que chacun éprouve aujourd’hui le rend plus humain, plus égoïste aussi. Il y a les gestes de solidarité. Il y a aussi les vols de vautours et le pillage des hyènes. Il y a ceux ou celles qui te donnent un masque parce qu’ils te pensent « personnes à risques ». Il y a ceux qui volent les gels hydro-alcooliques ou les masques des soignants pour eux-mêmes ou pour leurs « marchés noirs », noirs comme leurs âmes, mercantiles comme leurs vies. Les salauds ressemblent à leur époque, les gens bien, aussi. Il y a aussi la révélation des inégalités, ceux qui bronzent autour d’une piscine et ceux qui s’entassent dans une pièce exigüe. Il y a le plaisir et puis aussi la haine. Dans tous les cas, la crainte, la peur, l’extrême solitude à l’autre bout de moi ou dans le confinement des autres. Comment une fois encore, ne pas citer Camus : « les familles pauvres se trouvaient ainsi dans une situation très pénible, tandis que les familles riches ne manquaient à peu près de rien. Alors que la peste, par l’impartialité efficace qu’elle apportait dans son ministère, aurait dû renforcer l’égalité chez nos concitoyens, par le jeu normal des égoïsmes, au contraire, elle rendait plus aigu dans le cœur des hommes le sentiment de l’injustice. Il restait, bien entendu, l’égalité irréprochable de la mort, mais celle-là, personne ne voulait. »

On l’aura compris, je suis en colère. Je suis en colère car depuis 2009 l’Appel des appels lance des mises en garde auprès des responsables politiques et de l’opinion publique. A quelques rares exceptions, près nous n’avons jamais été entendus, et lorsque nous étions écoutés c’était bien souvent à la veille d’une échéance électorale. Aujourd’hui la catastrophe sanitaire, sociale et économique que nous traversons exige que nous puissions être écoutés et entendus, exige que l’on reconsidère l’utilité sociale des métiers et la valeur de tous ceux qui les exercent. Il faut une fois pour toutes jeter à la poubelle de l’histoire les impostures des grilles d’évaluation ou contraindre ceux qui les fabriquent à aller directement en faire usage eux-mêmes sur le front de l’épidémie. Faute de quoi, nos démocraties seront balayées lors des prochaines pandémies. Nous ne cessons de le répéter depuis plus de dix ans, le programme de restauration des sociétés européennes est toujours celui de la Déclaration du Bureau International du Travail en mai 1944 à Philadelphie : investir dans la santé, l’éducation, la culture et la justice. Au lieu de les imputer dans la colonne des déficits, il vaudrait mieux les aligner dans celle des investissements ! Faute de quoi l’économie dont se gargarisent les Bouvard et Pécuchet du néolibéralisme sera « dans les choux ». Aujourd’hui elle s’en approche et on ne saurait s’en réjouir. Aujourd’hui nous redécouvrons l’économie réelle, celle des services et des entreprises répondant véritablement aux besoins des citoyens, à leurs désirs aussi. Mon ami Bernard Maris me l’avait dit, « on redécouvre Keynes dans les Grandes Ecoles ». Il était temps.

Laissons encore à Albert Camus et à son double, le Dr Rieux, le mot de la fin, celui de l’espoir : « bien entendu, un homme doit se battre pour les victimes. Mais s’il cesse de rien aimer par ailleurs, à quoi sert qu’il se batte ? »

 

Roland Gori
Président de l’Appel des appels

 

 

Coronavirus : « Il est dangereux de faire endosser aux soignants le costume du héros »

Dans un entretien au « Monde », deux professionnels de la santé psychique estiment que faire des soignants des « surhommes » peut finir par être préjudiciable à leur état mental.

Je n'ai rien dit ...

"Lorsqu'ils sont venus chercher ...les communistes, les incurables, les juifs, les opposants ... " Pour paraphraser Martin Niemöller, mon ami Yves Gigou, m'a donné l'idée et plusieurs éléments pour lancer un cri de révolte face à la situation politique actuelle et les conséquences des décisions scandaleuses des gouvernants depuis trente ans, sur le service public hospitalier français.    

 

Roland Gori, psychanalyste : "Face à la maladie et la mort, le ridicule des emblèmes de la richesse et du pouvoir"

"Distanciations sociale", inégalités de traitement, mondialisation en accusation... Le philosophe et psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie clinique, éclaire les débats que suscite la crise liée au coronavirus et analyse les effets du confinement sur les individus et sur nos sociétés. Un entretien décapant de la directrice de rédaction avec le président de l'appel des appels.

PAR Claude BANIAM psychologue à l'hôpital de Mulhouse

Un psychologue de l'hôpital de Mulhouse crie sa révolte contre ceux qui ont détruit le système de santé au nom des restrictions budgétaires. Une fois la pandémie passée, ceux-là mêmes rendront des comptes.

Il faut vraiment que les gouvernements arrêtent de torturer les chiffres - Un billet de Roland Gori

Roland Gori est psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie à Aix-Marseille-Université et Président de l’Association Appel des Appels. Il a publié une vingtaine d’ouvrages dont une partie aux Liens qui Libèrent (1). Au temps du Covid-19, Les Liens qui Libèrent publient régulièrement des contributions de leurs auteur.e.s sur la crise actuelle.

 

 

Lettre ouverte du Collectif RASED au Ministre de l’Éducation nationale

Monsieur le Ministre, Depuis maintenant trois semaines, les personnels de l’Éducation nationale mettent toute leur énergie, leur créativité, et leur professionnalisme à maintenir et préserver les liens entre les familles et l’école, afin que les élèves puissent bénéficier d’une continuité dans leurs apprentissages.Certains enfants resteront profondément marqués par la traversée de cette période difficile

COVID19 : la colère d’André Grimaldi

A lire aussi ici

 

Chers toutes et tous,

L’unité  du pays  pour respecter les consignes de confinement et
donner la priorité absolue aux soins et aux soignants est totale.

L’appel du chef de l’État à faire taire toute critique, voire  tout débat, apparaît au mieux inopportun, au pire inquiétant. Le temps viendra, nous dit-on. Mais quand ce temps sera venu, on risque fort  de nous dire: « l’heure est à pleurer nos morts et à reconstruire le pays dans l’unité. Le moment n’est pas à la polémique. Regardons l’avenir plutôt que le passé » . Reste que pour avoir et garder  la confiance des citoyens , il faut certes communiquer dans la transparence,mais  il faut aussi être capable de reconnaître ses fautes .

Médecin généraliste, je suis désarmée face aux patients en détresse

A lire aussi dans Libération

 

Une généraliste de Pantin témoigne : des patients arrivent dans son cabinet dans un état déjà trop grave. La médecine de ville se trouve souvent au début de la chaîne, sous-équipée, sans protection.

Emilie Piouffre: “Trois milliards de confinés, c’est une expérience extraordinaire”

A lire aussi dans Society

Ancienne psychologue en milieu carcéral, Emilie Piouffre achève actuellement une thèse de recherche sur le mal-être et le suicide des personnels pénitentiaires, tout en menant parallèlement une activité de psy libérale à domicile. De quoi avoir une certaine expertise sur le concept d’isolement… Et de confinement.

Par Vincent Riou 2 avril 2020

Pédagogie et confinement: entre continuité et discontinuité

 

Incertitude, discontinuité, fracture numérique... En dépit de la dispersion spatiale qui nous est imposée par le confinement, les enseignants que nous sommes peuvent éviter d’ajouter la distanciation sociale. Au contraire, nous pouvons assurer avant tout un travail de maintien des liens avec celles et ceux auprès desquels nous nous sommes engagés. Par Arnaud Dubois, Patrick Geffard et Gérald Schlemminger. 

 

Témoignage de Bruno Canard, virologue au CNRS, lu lors du départ de la manifestation de l’enseignement supérieur et de la recherche - 9 mars 2020

 

Je suis Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille. Mon équipe travaille sur les virus à ARN (acide ribonucléique), dont font partie les coronavirus. En 2002, notre jeune équipe travaillait sur la dengue, ce qui m’a valu d’être invité à une conférence internationale où il a été question des coronavirus, une grande famille de virus que je ne connaissais pas.

 

L’appel des appels : écoute et soutien psychologique bénévole en région Méditerranée

 

L’appel des appels Méditerranée propose à tous les professionnels sur le front de l’épidémie de coronavirus une écoute et un soutien psychologique bénévole.

 

 Le tableau ci-joint vous donne l’essentiel des informations pour faire appel à nous.

(Cliquer sur le tire de cette annonce)

 

 

 

 

Ecoute et soutien psychologique en région parisienne

En réponse à « l'Appel des appels », cinq praticiens psychanalystes de la région parisienne proposent une écoute téléphonique bénévole et gratuite aux soignants en souffrance à l'hôpital ou en dehors, dans le contexte anxiogène de la crise du coronavirus.

Cette offre est complémentaire des autres lieux d'écoute qui devraient être mis en place dans ces structures. La confidentialité est assurée selon l'éthique qui régit toute consultation.

 

Voici le tableau de permanence avec les jours et horaires où nous sommes joignables (Cliquer sur le titre de cette annonce)

 

 

Une vidéo du centre Françoise Grémy diffusé par le Printemps de la psychiatrie, effectuée par des soignants et des patients.

 

A visionner en cliquant ici

Par Roland Gori, à lire dans Libération